Focus
«Un animal sauvage en cours de traitement est un animal sauvage gardé en captivité»
Simon Rüegg, le président de l’ASMFAE, aborde les questions relatives aux soins apportés à la faune sauvage et explique ce que la section spécialisée de la SVS réclame en matière de qualité des stations de soins.
Quelle est la spécificité des soins prodigués à la faune sauvage?
Simon Rüegg: Un animal domestiqué, même retourné à l’état sauvage, a connu une évolution commune avec l’être humain depuis des millénaires. Il est calme en présence de ce dernier et montre aussi des faiblesses. Pour l’illustrer, un chien blessé à la patte va boiter. Par contre, un animal sauvage évitera autant que possible de montrer son handicap. Il cache sa baisse de performance aussi longtemps que possible. Pour caricaturer, on peut dire que les animaux sauvages sont soit vivants soit morts. Il faut capter des signes d’une grande subtilité pour savoir si un animal sauvage va bien ou non. Par ailleurs, l’examen clinique en état de conscience n’est possible que de manière très limitée.
Dans un papier de position relatif aux soins apportés à la faune sauvage, l’Association suisse de médecine de la faune et des animaux exotiques (ASMFAE) définit les bases des soins prodigués aux animaux sauvages. Quelle est pour vous la revendication la plus importante de ce document de synthèse?
L’assurance qualité à long terme. Les interventions ne devraient être réalisées que si elles mènent au but recherché et à une rééducation intégrale de l’animal. Si ce n’est pas le cas, l’animal doit être euthanasié. Cela implique des décisions parfois dures. Un animal sauvage en cours de thérapie est un animal sauvage gardé en captivité, ce qui constitue un stress énorme pour le patient. La seule justification de ce stress est que l’animal sera ensuite relâché dans la nature, après une récupération à 100%.
Un grand nombre de personnes travaillant dans les stations de soins s’occupent d’animaux sauvages avec dévouement depuis des années ou des décennies. Elles les connaissent bien et ont obtenu à cet effet une attestation de compétences. Pourquoi, du point de vue de l’ASMFAE, est-il malgré tout important que des vétérinaires gèrent les stations de soins?
Dans certaines circonstances, c’est indubitable que les gardiens d’animaux, en raison de leur contact permanent avec l’animal, sont mieux à même que les vétérinaires de reconnaître les changements subtils. Mais au niveau de la gestion d’entreprise, il faut évaluer sur un plan factuel si un animal a totalement récupéré et peut être relâché. Cela relève de la compétence des vétérinaires, de même par ailleurs que les soins médicaux ou la distribution de médicaments. Il en va pour nous notamment de questions d’esprit scientifique, par exemple avec un suivi des animaux réintroduits dans la nature. C’est la seule façon d’améliorer les mesures de rééducation, pour augmenter le taux de survie à long terme.
Ces vétérinaires ont-ils besoin d’une formation postgrade spécifique?
Absolument. Nous ne voulons pas de soins empiriques, mais des soins professionnels. Il existe des centaines d’espèces d’animaux sauvages, leur diagnostic et leur thérapie doivent s’apprendre. Depuis 1996, l’European Association of Zoo and Wildlife Veterinarians (EAZWV) et l’European College of Zoological Medicine (ECZM) proposent des formations correspondantes. Le traitement scientifiquement fondé de la faune sauvage a dès lors connu un développement rapide, avec des formations postgrades les plus diverses.
Le papier de position dit que «les cabinets vétérinaires appropriés» doivent être autorisés à soigner les animaux sauvages. Quels sont les cabinets vétérinaires qui ne le sont pas?
La manipulation d’animaux sauvages requiert des connaissances et de l’expérience. À cela s’ajoute l’équipement du cabinet. Un rapace qui a subi une collision par exemple doit pouvoir être placé dans un endroit où il ne sera pas dérangé. Ce n’est pas possible dans un box de réveil à côté d’autres animaux domestiques.
Vous considérez d’un œil sceptique les stations de soins qui mènent également des programmes d’élevage. Pourquoi donc?
On est en présence d’un conflit d’intérêts. La rééducation n’a rien à voir avec l’élevage. De plus, à l’exception des espèces menacées, l’élevage n’a aucun sens. La préservation des habitats a une importance autrement plus grande. Nous devrions fournir aux populations naturelles les ressources dont elles ont besoin pour se rétablir, autrement l’élevage ne fera que créer de nouvelles populations menacées. La promotion de la biodiversité constitue une forme cohérente de protection des espèces. Nota bene, elle débute dans le jardin privé. Il est important que nous prodiguions des soins médicaux aux animaux sauvages, car ils ont une valeur intrinsèque autant que sociétale. En nous occupant d’eux, nous confirmons à ceux qui nous apportent ces patients qu’ils ont agi de manière responsable et nous avons ainsi l’occasion d’attirer l’attention sur les besoins de la faune sauvage.
L’ASMFAE souhaite que l’on dispose d’une liste de toutes les stations de soins pour animaux sauvages autorisées ainsi que des organes responsables de la faune sauvage en Suisse. Quelle est l’idée sous-jacente?
Il n’existe pas à ce jour de vue d’ensemble de toutes les offres disponibles. Celui qui trouve un renard renversé par une voiture se rend dès lors simplement au cabinet vétérinaire le plus proche, car il n’est pas en mesure, dans l’urgence, de trouver un service compétent auquel confier l’animal en vue de lui prodiguer des soins de qualité. À cela s’ajoute le fait qu’une telle liste apporterait une légitimité aux institutions qui y figurent.
Depuis le mois de février, les vétérinaires peuvent réaliser les premiers soins aux animaux sauvages protégés en vertu de la loi sur la chasse sans devoir demander d’autorisation préalable. Êtes-vous satisfait de cette disposition?
En principe, oui. Nous en appelons cela dit à la responsabilité personnelle des vétérinaires pour qu’ils s’approprient les connaissances spécialisées adéquates et qu’ils remettent les animaux à des spécialistes une fois ces premiers soins prodigués.
Cette nouvelle disposition légale est-elle suffisante à vos yeux ou une uniformisation plus poussée serait-elle nécessaire?
Dans notre Suisse fédéraliste, il y a un patchwork cantonal, ce qui rend les responsabilités peu claires. Nous ne savons souvent pas qui a le pouvoir de décision pour telle ou telle espèce animale. La révision de l’ordonnance sur la chasse n’offre pas de réponse à ces questions.
Prodiguer les premiers soins aux animaux sauvages occasionne des coûts pour les vétérinaires. Selon vous, comment et par qui cela devrait-il être indemnisé?
Les animaux sauvages sont la propriété des cantons. Nous estimons que la Confédération et les cantons devraient assumer les coûts des soins prodigués à la faune sauvage. Il s’agit là d’une tâche sociétale, actuellement assumée implicitement par les vétérinaires sans pour autant qu’ils obtiennent de rémunération. Les coûts d’une rééducation dans les règles de l’art de la faune sauvage sont considérables.
Faut-il vraiment soigner tous les animaux sauvages blessés?
D’un point de vue technico-médical, nous soignons les animaux sauvages qui peuvent récupérer intégralement. Mais à cela s’ajoute une perspective sociétale: de quelles espèces animales prenons-nous soin? Devons-nous soigner un individu d’une espèce invasive comme le rat musqué? N’avons-nous pas déjà plus qu’assez de renards? En revanche, la population de fouines a un besoin urgent d’être sauvée. Il serait bon que nous ayons un dénominateur commun supracantonal sur ces questions, qui servirait de repère. Un concept serait le bienvenu pour que de telles questions ne doivent pas être traitées et assumées à l’échelon individuel par des vétérinaires.
Papier de position sur les soins prodigués à la faune sauvage
En 2019, l’Association suisse de médecine de la faune et des animaux exotiques (ASMFAE) a rédigé un papier de position sur les soins prodigués à la faune sauvage. À titre de section de la SVS, elle s’engage pour une solution uniforme à l’échelle nationale. Ce document de synthèse dit la chose suivante: «Le but des soins prodigués à un animal sauvage et de son suivi vétérinaire est de pouvoir le remettre en liberté. Lorsqu’un animal sauvage ne peut pas se comporter de manière conforme à son espèce et se nourrir de façon autonome suite aux soins et à la thérapie correspondants, il convient de l’euthanasier plutôt que de le soigner.» Par ailleurs, toute station de soins pour la faune sauvage doit être suivie par un vétérinaire disposant des connaissances correspondantes et la remise de médicaments à la station doit être réglée dans une convention écrite. L’ASMFAE estime important que le personnel soignant des stations de soins pour la faune sauvage et les vétérinaires qui en ont la charge disposent d’une formation approfondie et suivent régulièrement des formations continues, et que les coûts des soins, de la garde, de l’alimentation et des soins vétérinaires des stations soient couverts pendant la durée de l’autorisation.
Vers le site web de l’Association suisse de médecine de la faune et des animaux exotiques