Journal Schweiz Arch Tierheilkd  
Verlag GST  
Heft Band 166, Heft 2,
février 2024
 
ISSN (print) 0036-7281  
ISSN (online) 1664-2848  
online seit 30 janvier 2024  
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«Mon pays me manque, mais je n’y retournerai pas!»

Nicole Jegerlehner

Il y a deux ans, la Russie a lancé sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Liliia Melnyk s’est réfugiée en Suisse, accompagnée de sa sœur et de son frère. Vétérinaire diplômée, elle travaille actuellement comme AMV à l’Hôpital vétérinaire de Berne.

Lorsque Liliia Melnyk s’est réveillée le matin du 24 février 2022, rien n’était plus comme avant: la Russie venait de lancer ses troupes contre l’Ukraine. La vétérinaire, qui a grandi au sud de Kiev à Bila Tserkva, vivait alors dans la capitale ukrainienne. Elle avait terminé ses études en 2019 et travaillait depuis lors dans une grande clinique vétérinaire. À partir de 2021, elle a travaillé à la clinique des chats: «Nous avions notre propre bâtiment, nous étions super équipés, il y avait de la musique spécialement pour les chats et nulle part ça ne sentait le chien, raconte Liliia enthousiaste. Nous portions le label cat friendly.»

Cependant, le 24 février, Liliia n’a pas pu se rendre à la clinique. Elle s’est réfugiée dans l’ouest de l’Ukraine chez une amie et a travaillé pendant quelques semaines dans le cabinet vétérinaire de celle-ci.

«Je n’ai jamais voulu quitter l’Ukraine, dit-elle. J’y ai ma famille, mes amis, j’avais un super poste dans une clinique et des perspectives de carrière.» Il lui a fallu un mois pour comprendre qu’elle devait quitter l’Ukraine. «Il n’y avait plus d’avenir pour moi là-bas.»

Les parents sont restés

Elle s’est entretenue avec sa famille. Les parents étaient demeurés dans la région de Kiev pour s’occuper des deux grands-mères. Le frère cadet était chez ses parents, tandis que la sœur aînée avait également fui à l’intérieur de l’Ukraine. «Nous ne pouvions plus nous rencontrer, voyager était devenu trop dangereux.» La famille a décidé que les frères et sœurs devaient s’enfuir. Les parents sont restés en Ukraine: en âge de servir, le père n’avait pas le droit de quitter le pays, tandis que la mère est restée avec lui et auprès des grands-mères.

Grâce à la mère, très engagée dans le travail bénévole d’infirmière, la famille avait des contacts en Suisse via d’autres organisations de bénévoles. C’est ainsi que les deux sœurs se sont réfugiées à Zurich avec leur frère alors âgé de 15 ans. Ils ont traversé la frontière slovaque à pied, pour ne pas rester bloqués de longues journées en voiture dans les embouteillages.
Liliia Melnyk avait juste une valise au moment de quitter son pays: quelques habits et les documents les plus importants, c’est tout ce qu’elle a emporté. «On ne peut pas emporter toute sa vie avec soi», dit-elle. Sa valise était déjà prête depuis longtemps. «Cela faisait longtemps que nous étions en guerre, depuis que la Russie occupait la péninsule de Crimée en 2014, explique Liliia. Nous savions qu’un jour ou l’autre, la guerre nous rattraperait.»

Diplôme non reconnu

En Suisse, les trois frères et sœurs ont d’abord été hébergés par une famille à Langenthal. «Nous sommes extrêmement reconnaissants envers cette famille, déclare la réfugiée. Ils nous ont accueillis comme membres à part entière de leur famille.» La jeune femme, alors âgée de 25 ans, cherchait du travail et, une semaine seulement après son arrivée en Suisse, elle travaillait déjà dans un cabinet vétérinaire pour petits animaux. Elle ne parlait pas encore l’allemand et s’entretenait en anglais avec la clientèle. Mais au bout de deux semaines, la décision tombait: ses diplômes n’étaient pas reconnus en Suisse et elle ne pouvait donc pas pratiquer comme vétérinaire. «La déception était grande.» Elle a donc dû chercher un emploi d’assistante en médecine vétérinaire (AMV).

«J’ai écrit à des dizaines de cliniques pour petits animaux et j’ai trouvé un poste d’AMV au Tierspital de Berne», explique Liliia Melnyk. Au début, elle a travaillé dans tous les services: «Je faisais des remplacements là où il y avait besoin de quelqu’un et j’ai ainsi appris à connaître tout le fonctionnement.» Depuis l’été dernier, elle travaille principalement dans le service de radiologie. «Je prépare les animaux pour l’échographie et je gère la planification.» Comparé au poste qu’elle occupait en Ukraine, le travail y est vraiment très simple. «Mais j’adore le Tierspital, tout le monde est très gentil avec moi ici.»

De nombreuses amies de Liliia ont également pris la fuite et vivent désormais dispersées dans le monde entier. «Nous nous sommes déjà rendus à Bruxelles pour un week-end, juste pour rencontrer des amis.» Une chose a marqué Liliia à l’étranger: «Dès que je rencontre un confrère ou une consœur, ils m’aident simplement parce que je suis vétérinaire, comme si nous étions une nationalité à part entière.»

Les sœurs comme parents

En août 2023, les trois frères et sœurs ont déménagé à Berne, dans leur propre appartement. Le frère, âgé maintenant de 17 ans, était dans une classe de réfugiés à Langenthal et suit désormais une année spéciale avant de passer ensuite à l’école professionnelle. «Il parle très bien allemand, commente Liliia. Il n’a aucune difficulté et n’a eu aucune peine à s’habituer à tout ce qui est nouveau.» Elle et sa sœur de 28 ans ont assumé le rôle de parents. Au début, sa sœur a travaillé dans la restauration et suit maintenant un cours d’allemand intensif pour pouvoir postuler à de meilleurs emplois et avoir des perspectives d’avancement professionnel. La famille bénéficie du soutien des services sociaux.

Liliia Melnyk envisage suivre des études de master en Suisse, pour faire reconnaître sa formation ici et travailler comme vétérinaire. Mais pour cela, elle doit mieux parler allemand; il lui faut le niveau B2. Actuellement, elle maîtrise le niveau A2. Elle suit un cours de langue deux fois par semaine. Elle aimerait certes apprendre l’allemand plus rapidement: «Parfois, tout est juste trop pour moi: j’ai dû fuir, m’adapter à un nouveau pays, je travaille …» Il ne reste donc plus suffisamment d’énergie pour un cours intensif. «Il faut savoir être patient avec soi-même», ajoute-t-elle avec sagesse.

Elle veut rester en Suisse

Mais son objectif est clair: elle veut rester en Suisse et y travailler comme vétérinaire. «Mon pays me manque et j’aimerais voir mes parents, mais je n’y retournerai pas.» Même si la guerre devait un jour prendre fin, elle ne voit pas son avenir en Ukraine. Elle part du principe que la guerre pourrait éclater à tout moment. Mais ce qui est encore plus important à ses yeux: «Je ne peux pas m’imaginer une fois de plus tout recommencer à zéro.»

Liliia Melnyk travaille aujourd’hui au Tierspital de Berne. (© màd)
 
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