Journal Schweiz Arch Tierheilkd  
Verlag GST  
Heft Band 165, Heft 12,
décembre 2023
 
ISSN (print) 0036-7281  
ISSN (online) 1664-2848  
online seit 28 novembre 2023  
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«Il faut croire que je suis un défenseur des animaux déguisé»

Nicole Jegerlehner

Peter V. Kunz, juriste à l’Université de Berne, a rédigé le premier ouvrage de synthèse traitant de la législation suisse sur les animaux. Dans le livre qui compte pas moins de 800 pages, il demande également davantage de droits pour les animaux.

Monsieur Kunz, vous êtes connu pour être un juriste économique incisif. Pourquoi avez-vous mis en place des cours traitant de la législation sur les animaux au cours des quatre dernières années?
Il y a deux raisons à cela, l’une professionnelle et l’autre privée. Sur le plan professionnel, j’ai le sentiment, depuis mes études, que le droit s’intéresse aux personnes et aux entreprises, mais pas aux animaux. Et cela m’a toujours dérangé. Sous l’angle de la législation, les animaux ne sont que des objets et les facultés de droit ont presque totalement ignoré les animaux. Et finalement, à un peu plus de 50 ans et en ma qualité de doyen, je voulais aussi me consacrer professionnellement à un nouveau domaine dans lequel il y avait une lacune regrettable et pour lequel je me sentais compétent.

Et quelle était la raison privée?
Je suis impliqué émotionnellement. J’ai en effet eu affaire à des animaux toute ma vie. Je suis propriétaire de chats et je suis un ami des animaux, même si ce n’est pas au point d’en être végétarien. Et il y a quelques années, dans une situation de crise personnelle, je me suis dit qu’il serait juste que je m’occupe de la législation sur les animaux.
Quelle était cette situation de crise si on ose demander?
Lors du divorce d’avec mon épouse, la question s’est posée de savoir à qui appartenaient en fait «nos» chats. Lors d’un divorce, on interroge les enfants sur leur relation avec leurs parents, le chat par contre n’a rien à dire. Je me suis penché sur la question d’un point de vue juridique et j’ai constaté que la question était passionnante autant que compliquée.

Pourquoi compliquée? Les animaux sont juridiquement considérés comme des choses: en cas de divorce, ne sont-ils pas simplement répartis en conséquence?
Oui, légalement, les animaux sont des choses. Pourtant, ce sont des choses atypiques, surtout lorsqu’il est question d’animaux de compagnie. Des règles spéciales prévalent à leur égard en droit privé depuis vingt ans. Aujourd’hui, en cas de divorce, on tient compte de l’intérêt de l’animal: on regarde où la meilleure prise en charge est garantie. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans. Si l’on constate une évolution pour les animaux de compagnie, ce n’est pas encore le cas pour les animaux de rente.

Qui a donc obtenu les chats lors de votre divorce?
Mon épouse a bien sûr gagné sur tous les tableaux (rires). J’ai dû payer les frais de vétérinaire. Mais nous nous sommes remariés quelques mois après le divorce. Les chats appartiennent toujours à mon épouse.

Vous parlez de votre lien émotionnel avec les animaux. En plus d’être juriste, êtes-vous aussi un défenseur des animaux ou activiste de la cause animale?
En tant que scientifique, mais aussi en tant qu’auteur de livres, je suis délibérément objectiviste et dénué d’émotions. Je n’occupe pas non plus des étables ou autres. Mais je trouve qu’on pourrait améliorer certaines choses; c’est le particulier qui parle, celui qui aime les animaux. Au vu de mes exigences élevées en matière de droits pour les animaux, il faut croire que je suis un défenseur des animaux déguisé. Même si je n’ai pas l’air d’un activiste typique, puisque je porte un costume et une cravate. Les défenseurs des animaux choquent souvent par leur comportement et leur attitude. Dans mon cas, la partie adverse a plus de mal à faire parler les réflexes de défense à mon encontre.

Quels droits réclamez-vous?
J’étendrais par exemple la protection des animaux aux invertébrés et j’introduirais ce que l’on appelle la protection de la vie. Cela peut paraître beaucoup, mais c’est normal par exemple en Allemagne et en Autriche.

Quels seraient les effets de la protection de la vie?
Ils seraient sans doute moins importants que ce que beaucoup craignent. Il n’y aurait par exemple pas de procédure pénale pour avoir tué un moustique. Mais la protection de la vie aurait un effet préventif et sensibiliserait la population. Nos sociétés me semblent plutôt insensibles aux animaux.

Qui devrait être sensibilisé aux droits des animaux?
Je ne suis pas convaincu que nous, les Suisses, portions un véritable amour envers les animaux. Nous le voyons aussi avec des questions comme les feux d’artifice du 1er août ou du Nouvel An, lorsque les gens lâchent des pétards sans se soucier de la souffrance des animaux. Nous acceptons également des expériences très invasives sur les animaux dès qu’il s’agit de médicaments ou de nos propres intérêts.

Et que signifierait la protection de la vie pour les animaux de rente, ou pour les animaux sauvages tués pour le contrôle des populations?
Même le droit de l’être humain à la vie n’est pas absolu; il existe par exemple l’homicide en cas de légitime défense. Un abattoir ne serait pas fermé en raison de la protection de la vie, mais on débattrait de manière plus approfondie sur la manière de mettre à mort. Il ne devrait plus être possible de tuer des animaux sans raison.

Quel écho rencontrez-vous avec vos revendications pour plus de droits des animaux?
Cela surprend parfois, car je suis considéré comme «bourgeois» sur le plan politique. L’animal en tant que thème juridique est une vision personnelle. Je sais que les gens de mon âge ont tendance à secouer la tête sur ce point. Dans mon Rotary-Club, on s’est moqué de moi au début. Mais mes étudiants reprennent ces idées. Peut-être que les choses auront bougé dans trente ans. Mais nous devons lancer la discussion dès maintenant, notamment pour sensibiliser. Il ne s’agit pas pour moi de brandir une menace pénale, mais de faire prendre conscience à la population que les animaux de compagnie notamment ont des besoins spécifiques.

Dans quelques décennies, aurons-nous honte de la manière dont nous traitons les animaux aujourd’hui?
Je pense en effet que ce sera le cas. Mais cela ne signifie pas que nous devions avoir honte aujourd’hui déjà. J’ai du mal lorsque l’on est très critique vis-à-vis du passé et que l’on se montre moralisateur avec le recul. Nous allons devoir évoluer dans notre relation humain-animal. La place des animaux va certainement se renforcer à l’avenir. Nous vivons cependant à l’époque actuelle. Un changement a besoin d’une société qui le soutienne: la société va de l’avant, le droit suivra. Mais nous devrions déjà avoir honte de l’élevage intensif aujourd’hui, et nos descendants le feront pour nous.

Que signifierait pour les vétérinaires le fait que les animaux aient davantage de droits?
Le corps vétérinaire dispose aujourd’hui déjà d’un Code de déontologie, c’est-à-dire d’une autorégulation, volontaire et bienvenue. Une protection légale de la vie constituerait une base de légitimation juridique, sans toutefois augmenter la charge administrative. La protection de la vie, si elle devait voir le jour à l’avenir, ne serait pas une menace pour les vétérinaires.

Vous critiquez également le fait que les services vétérinaires ne contrôlent pas suffisamment l’application de la législation sur les animaux.
Les services vétérinaires font ce qu’ils peuvent. De mon point de vue, ils sont en partie délibérément maintenus dans un corset par la politique. Ils ont besoin de plus de personnel. Et aussi de collaborateurs mieux formés, disposant des connaissances juridiques adéquates.


Vous trouvez une sélection de questions juridiques concernant les animaux et les vétérinaires ici.

Peter V. Kunz ­enseigne à l’Université de Berne. (© SP)

Le livre

En comptant la bibliographie, le nouveau livre de Peter V. Kunz dénombre plus de 800 pages. Il est centré sur la législation relative aux animaux. Peter Kunz va au-delà des questions de droit de la protection des animaux: il éclaire la législation sur les animaux dans l’ensemble du système juridique. Selon lui, la législation sur les animaux touche au droit privé, au droit public, au droit pénal ainsi qu’au droit économique. «Les défenseurs des droits des animaux peuvent par conséquent être qualifiés de ‹multi-combattants› juridiques», écrit l’auteur dans l’introduction. Cet ouvrage vaste et exhaustif est le premier titre de référence traitant de la législation suisse sur les animaux. njb
Peter V. Kunz, «Tierrecht der Schweiz» (La législation sur les animaux en Suisse); éditions Helbing Lichtenhahn, 2023; 792 pages, relié, ISBN 978-3-7190-4649-1, 148 francs

 
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