Journal Schweiz Arch Tierheilkd  
Verlag GST  
Heft Band 165, Heft 10,
octobre 2023
 
ISSN (print) 0036-7281  
ISSN (online) 1664-2848  
online seit 03 octobre 2023  
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Moins d’expériences sur les animaux grâce à la recherche sur les organoïdes

Nicole Jegerlehner

À l’Institut de virologie et d’immunologie (IVI) de Berne, une équipe dirigée par Marco Alves mène des recherches sur les organoïdes, à savoir des fragments de tissus cultivés en laboratoire qui ressemblent à des organes. Ces organoïdes ouvrent des approches de recherche totalement nouvelles.

En 2008 et 2009, au Japon et aux Pays-Bas, des chercheurs ont réussi à créer, à partir de cellules souches, des cultures de cellules tridimensionnelles, appelées organoïdes. «C’était une découverte très importante, qui a ouvert la voie au développement de la recherche avec les organoïdes», explique Marco Alves. Depuis 2017, lui et son équipe travaillent également avec des organoïdes à l’Institut de virologie et d’immunologie (IVI) à Berne.

À partir de cellules souches, l’IVI cultive, par exemple, des organoïdes cérébraux mesurant environ un demi-centimètre. «Ces organoïdes cérébraux sont les plus faciles à générer», explique Marco Alves. En effet, une cellule souche se transforme en cellule cérébrale, à moins que sa différenciation ne soit orientée autrement. Les chercheurs de l’IVI utilisent les organoïdes pour étudier les effets des virus zoonotiques sur l’être humain. «Nous essayons de comprendre le mécanisme par lequel les virus acquièrent la capacité d’affecter l’être humain», explique Marco Alves. «Notre objectif est de développer des traitements.» Actuellement, l’IVI travaille notamment sur des questions relatives au virus de l’encéphalite à tiques et au virus du Nil occidental. «La recherche sur les maladies infectieuses est multidisciplinaire et requiert des connaissances approfondies», explique Marco Alves. L’équipe de l’IVI est l’une des rares en Suisse à se pencher sur ces questions.

Moins d’expériences sur les animaux

Les organoïdes sont également utilisés dans la médecine personnalisée, car ils permettent de fabriquer des médicaments individualisés. Actuellement, ils sont par exemple utilisés dans la recherche sur le cancer et la mucoviscidose. Des maladies comme le cancer peuvent être simulées de manière plus directe sur des organoïdes qu’avec les méthodes traditionnelles.

Les organoïdes permettent aussi de mener des recherches qui ne seraient pas possibles sur l’animal. La recherche recourant à des organoïdes permet donc de se passer de nombreuses expériences sur les animaux, par exemple pour les études sur les médicaments. Ces organoïdes ne peuvent toutefois pas remplacer toutes les expériences sur les animaux, car certaines recherches sont tout bonnement impossibles sur les cultures cellulaires tridimensionnelles: pour tester des vaccins, par exemple, il faut un organisme doté d’un système immunitaire. Or, les organoïdes n’en ont pas. «Souvent, nous développons une molécule sur des organoïdes qui doit finalement être testé sur l’animal», explique Marco Alves. «Mais en fin de compte, nous avons besoin de moins d’expériences sur les animaux.»

Organoïdes en médecine vétérinaire

La recherche sur les organoïdes ou recourant à ceux-ci évolue rapidement. Aujourd’hui, on produit des organoïdes pour presque tous les organes de l’être humain et des souris – les espèces les plus étudiées. En médecine vétérinaire, les recherches ont porté principalement sur les organoïdes de porc et de chien. «Actuellement, les connaissances sont encore insuffisantes pour développer des organoïdes de tous les organes pour tous les animaux», explique Marco Alves. «Ce qui est actuellement possible en médecine humaine le sera aussi, à plus long terme, en médecine vétérinaire – c’est une question de coût et de volonté.»

Aujourd’hui, les organoïdes ne sont pas vascularisés, leur taille est donc limitée. «Ne recevant pas suffisamment d’oxygène et de nourriture les cellules meurent peu à peu», explique Marco Alves. Tant que les organoïdes ne développeront pas de vaisseaux sanguins, on ne pourra pas les utiliser pour le don d’organes.

Nouvelles questions éthiques

Si la recherche sur les organoïdes permet, certes, de se passer de certaines expériences sur les animaux, les cultures cellulaires tridimensionnelles soulèvent cependant aussi de nouvelles questions éthiques, surtout lorsqu’elles font l’objet d’un développement constant et deviennent de plus en plus complexes. «Quel est le statut moral d’un organoïde de cerveau?» demande Marco Alves «Ressent-il la douleur? A-t-il une conscience?» Pour y ajouter: «Plus les systèmes deviennent complexes, plus il est urgent que la société trouve des réponses à ces questions.»

L’organoïde dans son entier. (© IVI)

«Les méthodes de recherche changent aussi»

Marco Alves. © zvg

Marco Alves, de l’Institut de virologie et d’immunologie (IVI) et de l’Université de Berne, mène des recherches sur les organoïdes depuis 2017 et se concentre principalement sur les effets des virus zoonotiques sur l’être humain.

Marco Alves, les organoïdes ressemblent à des organes, mais ils sont plus petits et moins complexes. Pourquoi sont-ils malgré tout importants pour la recherche?

Comparée à la recherche réalisée avec des cultures cellulaires traditionnelles, la recherche menée avec des organoïdes se rapproche bien plus des études in vivo, c’est-à-dire menées sur l’organisme dans son entier.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la fabrication d’organoïdes?

Il faut beaucoup de connaissances et d’expérience. Travailler sur des organoïdes en laboratoire est le seul moyen d’apprendre à le faire. Nous avons commencé à travailler avec des organoïdes en 2017, mais il nous a fallu quatre ans pour nous familiariser avec leur utilisation. Les méthodes de recherche et d’analyse changent aussi. En effet, les cultures cellulaires classiques sont bidimensionnelles, alors que les organoïdes sont tridimensionnels.

Qu’est-ce qui est primordial pour travailler avec des organoïdes?

Une bonne connaissance des cellules souches, car il s’agit dans un premier temps d’en empêcher la différentiation puis de les inciter ensuite à se développer en un organe donné. Ce travail vous transforme en chef d’orchestre.

Qu’apportent les organoïdes à la médecine vétérinaire?

Les organoïdes d’animaux ne sont pas encore aussi développés que ceux utilisés en médecine humaine. Le potentiel est cependant comparable. Jusqu’à présent, les études en médecine vétérinaire portaient principalement sur l’estomac et l’intestin, car ce sont les organoïdes les plus faciles à produire. Nous comptons poursuivre bientôt la recherche dans ce domaine.

Sera-t-il un jour possible de fabriquer artificiellement de véritables organes?

On en est loin. D’ici là, nous devrons résoudre de nombreux problèmes complexes. Aujourd’hui, notre objectif est d’étudier les organoïdes et de comprendre les interactions entre les cellules.

Vous avez remporté le prix de la recherche pour les méthodes alternatives de la fondation Egon Naef pour la recherche in vitro. Que comptez-vous faire des 10 000 francs du prix?

L’important pour nous n’est pas le montant du prix, mais la visibilité qu’il confère à notre recherche. Cette distinction est évidemment la bienvenue et elle sera utilisée pour nos projets de recherche, car la recherche sur les organoïdes est très coûteuse.

Interview: Nicole Jegerlehner

 
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