Focus
Protection juridique de la dignité de l’animal
La protection explicite de la dignité de l’animal est un principe fondamental inscrit dans la législation suisse. Le concept de dignité repose sur la conviction selon laquelle les animaux ont une valeur intrinsèque et une fin en soi, et qu’ils ne sont pas uniquement des moyens au service des humains. La reconnaissance juridique de leur dignité doit donc protéger les animaux aussi, par exemple, de l’avilissement ou d’une instrumentalisation excessive.
La protection de l’intégrité des organismes vivants – qui englobe également la protection de la dignité de l’animal – est ancrée (de manière unique au monde à ce jour) depuis 1992 dans la Constitution fédérale suisse (Cst.) (aujourd’hui: art. 120, al. 2, Cst). Elle n’y est certes mentionnée explicitement qu’en relation avec l’utilisation du patrimoine germinal et génétique des animaux, des végétaux et des autres organismes. Il est toutefois généralement admis que la protection de l’intégrité des organismes vivants est un principe constitutionnel général qui s’applique dans tout le système juridique. Les tribunaux et les autorités doivent donc tenir compte de la dignité de l’animal dans l’ensemble de l’ordre juridique et dans chaque procédure d’application du droit qui concerne la relation entre l’être humain et l’animal. En 2008, la protection de la dignité de l’animal a logiquement été intégrée et concrétisée davantage dans la loi sur la protection des animaux (LPA). Depuis lors, elle constitue l’un des piliers de la législation afférente.
Épanouissement personnel
Le droit au respect de leur dignité revient aux animaux en raison de leur valeur intrinsèque. Cette reconnaissance exige que les animaux soient respectés dans leurs caractéristiques, leurs besoins et leurs comportements spécifiques non pas dans l’intérêt de l’être humain, mais bien pour eux-mêmes. Cela va bien au-delà de l’interdiction d’infliger des dommages physiques ou psychiques injustifiés et comprend également la protection des animaux contre les interventions humaines dans leur épanouissement autonome conforme à l’espèce. En conséquence, la loi sur la protection des animaux cite comme exemples d’atteintes à la dignité de l’animal, outre les contraintes «classiques» telles que le fait d’infliger des douleurs ou des maux, l’avilissement et l’instrumentalisation excessive des animaux ainsi que les atteintes profondes à leur apparence ou à leurs capacités (art. 3, let. a, LPA).
Au-delà de la douleur et des maux
L’avilissement désigne généralement un comportement dégradant, qui peut se manifester par exemple par le fait de ridiculiser ou d’humaniser des animaux. Il s’agit par exemple de présenter des animaux dans des costumes, de colorer leur pelage ou leur plumage, de les coiffer de manière non naturelle ou de présenter des numéros avec des animaux qui ne correspondent pas à leur comportement naturel.
Par instrumentalisation, on entend généralement le fait de traiter autrui comme un moyen pour arriver à des fins spécifiques. Par conséquent, toute utilisation d’animaux s’accompagne d’une certaine instrumentalisation, même dans le cas d’un élevage d’animaux domestiques exemplaire, car celui-ci est toujours lié à la satisfaction de certains besoins d’ordre émotionnel. L’instrumentalisation est excessive, et donc pertinente en matière de dignité, lorsqu’un animal est utilisé principalement comme un instrument entre les mains de l’être humain et que sa valeur intrinsèque ou sa fin en soi passe au second plan. L’élevage intensif d’animaux de rente ou les expériences sur les animaux entraînant une contrainte en sont des exemples typiques.
Les capacités des animaux sont profondément affectées par exemple par certaines dérives extrêmes de l’élevage, telles que lorsque les chats sont limités dans leur capacité d’orientation en raison d’une atrophie des vibrisses due à l’élevage ou que les chiens souffrent de difficultés respiratoires en raison de la forme de leur crâne. L’injection de colorants dans des poissons («glowfish») ou d’autres animaux, mais également l’implantation de supports de tête ou autres dans le cadre d’expérimentations animales, peuvent par exemple être considérées comme des interventions modifiant profondément l’apparence.
Protection pas absolue
La protection de la dignité de l’animal n’est toutefois pas absolue. Une atteinte à la dignité de l’animal est justifiée d’un point de vue juridique lorsqu’elle est nécessaire pour préserver des intérêts prépondérants. Entrent notamment en ligne de compte la garantie d’une base alimentaire suffisante, la santé humaine et animale, la protection de l’environnement ou encore des motifs scientifiques. La question de savoir
si une contrainte imposée à un animal est justifiée doit être évaluée au cas par cas, sur la base d’une pesée des intérêts contradictoires. La gravité de l’atteinte à la dignité est alors mise en regard du bénéfice escompté. Elle doit être évaluée de manière d’autant plus stricte qu’elle est grave pour l’animal concerné et sans intérêt pour l’être humain.
Non-respect punissable
Si, lors d’un acte portant atteinte à la dignité de l’animal, aucun intérêt prépondérant ne peut être invoqué de la part de l’être humain, il s’agit d’un acte punissable. La législation sur la protection des animaux contient en outre des catalogues détaillés d’actes intrinsèquement attentatoires à la dignité et donc expressément interdits, parmi lesquels figurent par exemple les mauvais traitements, la mise à mort dans d’atroces souffrances ou la pratique d’actes à motivation sexuelle sur des animaux. Dans le cas de ces comportements, la pesée des intérêts a donc déjà été anticipée par le législateur ou l’auteur de l’ordonnance. Le non-respect de la dignité de l’animal constitue un acte de cruauté envers les animaux au sens de la loi sur la protection des animaux passible d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (art. 26, al. 1, let. a, LPA).
Mise en œuvre insuffisante
En dépit du fait que la protection de la dignité de l’animal soit inscrite dans la Constitution fédérale depuis plus de 30 ans et dans la loi sur la protection des animaux depuis 15 ans, aucun changement fondamental dans la relation entre l’humain et l’animal n’a encore eu lieu dans la pratique. Aujourd’hui comme hier, la législation sur la protection des animaux autorise de nombreux comportements et formes de relations aux animaux difficilement compatibles avec l’idée fondamentale du principe de protection de la dignité. On pense par exemple à l’amputation ou à l’excision de parties du corps dans le cadre de l’élevage d’animaux de rente, comme l’écornage des vaches ou des chèvres ou le raccourcissement du bec des poules, au gazage des poussins mâles en tant que «déchets de production» dans l’industrie des œufs, à la mise à mort d’animaux sans raison particulière, à la réalisation d’expériences animales très contraignantes ou encore à la présentation d’animaux sauvages dans les cirques pour le simple divertissement du public. En outre, les autorités chargées d’appliquer la loi continuent de se montrer réticentes à sanctionner les comportements contraires à la dignité de l’animal lorsqu’ils ne sont pas nécessairement liés à de la douleur, des maux, des dommages ou de l’anxiété.
Le mandat constitutionnel de protection de l’intégrité de l’animal n’est pas suffisamment pris en compte lorsque la loi sur la protection des animaux contient certes une déclaration en ce sens, mais que de nombreuses dispositions de la législation afférente y sont diamétralement opposées. Le législateur et les autorités chargées de l’application du droit ont le devoir d’assurer la protection de la dignité de l’animal par le biais de dispositions légales efficaces et de leur mise en œuvre cohérente, afin de contribuer à ce que les animaux bénéficient effectivement du respect que leur accorde la loi.
Références
- Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.; RS 101).
- Cf. Errass Christoph, commentaire relatif à l’art. 80 Cst.: Ehrenzeller Bernhard/Mastronardi Philippe/Schweizer Rainer J./Vallender Klaus (Hrsg.), Die schweizerische Bundesverfassung: Kommentar, 3. Aufl., Zürich/St. Gallen 2014 1612-1625, N 10; ATF (arrêt du Tribunal fédéral) 135 II 384 consid. 3.1.
- Michel Margot, Die Würde der Kreatur und die Würde des Tieres im schweizerischen Recht – Eine Standortbestimmung anlässlich der bundesgerichtlichen Rechtsprechung, Natur und Recht (NuR) 34 (2012) 102–109, 107.
- Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur la protection des animaux (LPAn; RS 455)
- Commission fédérale d’éthique pour le génie génétique dans le domaine non humain (CENH)/Commission fédérale pour les expériences sur animaux, Die Würde des Tieres, Bern 2001, 6; Errass (Fn 2) N 9.
- Bolliger Gieri, Animal Dignity Protection in Swiss Law – Status Quo and Future Perspectives, Schriften zum Tier im Recht, Band 15, Zürich/Basel/Genf 2016, 46.
- Richner Michelle, Heimtierhaltung aus tierschutzstrafrechtlicher Sicht, Schriften zum Tier im Recht, Band 12, Zürich/Basel/Genf 2014, 58.
- Gerritsen Vanessa, Güterabwägung im Tierversuchsbewilligungsverfahren, Schriften zum Tier im Recht, Band 23, Zürich/Basel/Genf 2022, 443 ff.; Bolliger Gieri/Rüttimann Andreas, Rechtlicher Schutz der Tierwürde – Status quo und Zukunftsperspektiven, in: Ammann Christoph/Christensen Birgit/Engi Lorenz/Michel Margot, Würde der Kreatur, Ethische und rechtliche Beiträge zu einem umstrittenen Konzept, Zürich/Basel/Genf 2015 65–92, 70.
- Bolliger Gieri/Richner Michelle/Rüttimann Andreas/Stohner Nils, Schweizer Tierschutzstrafrecht in Theorie und Praxis, Schriften zum Tier im Recht, Band 1, 2. Aufl., Zürich/Basel/Genf 2019, 60 f. mit weiteren Beispielen.
- Cf. art. 8, al. 2, de la loi fédérale du 21 mars 2003 sur
- l’application du génie génétique au domaine non humain (loi sur le génie génétique [LGG]; RS 814.91).
- CENH/CFEA (note 5) 8.
- Cf. art. 26 LPA et art. 16 ss. de l’ordonnance du 23 avril 2008 sur la protection des animaux (OPAn; RS 455.1).
- Voir également en détail Bolliger/Rüttimann (note 8) 77 ss.; Gerritsen (note 8) 120 ss.; Engi Lorenz, Was verbietet die Würde der Kreatur? Zu den praktischen Konsequenzen der Verfassungsnorm, Zürich/Basel/Genf 2015, 79.
- Cf. aussi Bolliger/Richner/Rüttimann/Stohner (note 9) 63 s.