Focus
Analgésie périopératoire en chirurgie viscérale du chien et du chat
Les interventions chirurgicales pratiquées chez les chiens et les chats sont de plus en plus complexes. Ainsi, une analgésie «taille unique» n’est plus d’actualité. Le choix des analgésiques du traitement de la douleur périopératoire doit prendre en compte les antécédents médicaux de chaque individu.
Aujourd’hui, les propriétaires d’animaux estiment que la douleur ressentie chez le chien et le chat est comparable à celle de l’humain. Un traitement adéquat de la douleur est donc très important pour la guérison comme pour le bien-être de l’animal1. De même, selon une enquête, 88% des vétérinaires suisses interrogés seraient très favorables à l’administration d’analgésiques en phase périopératoire2. Les opioïdes et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), deux des trois piliers de l’analgésie multimodale, seraient les plus utilisés en phase périopératoire. Les deux premiers piliers de l’analgésie multimodale comprennent également d’autres médicaments agissant au niveau systémique. Cependant ces médicaments ne sont pas indiqués en premier lieu comme analgésiques (par exemple la kétamine, l’amantadine, les gabapentinoïdes ou encore les agonistes des récepteurs adrénergiques de type α2). Le troisième pilier est la famille des anesthésiques locaux. Ainsi, de plus en plus pour les interventions orthopédiques, une analgésie multimodale comprend des blocs nerveux périphériques réalisés au moyen d’anesthésiques locaux. Ceux-ci nécessitent un équipement plus sophistiqué, tel qu’un neuro-stimulateur ou un echographe, et le savoir-faire correspondant. A l’inverse, en chirurgie viscérale, les analgésiques systémiques sont principalement utilisés, même si les techniques d’anesthésie régionale existent et offrent des approches prometteuses: par exemple, le bloc transversus abdominis plane (TAP), permettant l’anesthésie de la paroi abdominale, le bloc quadratus lumborum, qui offre une anesthésie viscérale, ou encore les techniques régionales neuro-axiales telles que l’anesthésie péridurale ou l’anesthésie spinale.
La douleur
En chirurgie viscérale, les stimuli de douleur proviennent de l’incision à travers la paroi abdominale et de la traction sur les organes, les ligaments et les mésentères. Les terminaisons nerveuses libres présentes dans le péritoine captent le stimulus nociceptif. Ces terminaisons transmettent le message à la moelle épinière via les voies nerveuses ascendantes. Lors des douleurs aiguës, les fibres Aδ à conduction rapide entrent en jeu, tandis que les fibres C à conduction lente interviennent lors des douleurs chroniques et diffuses. Après avoir été modulés dans la moelle épinière, les signaux sont ensuite transmis vers différentes régions du cerveau. La perception de la douleur nécessite toutefois une conscience. Les stimuli de douleur intra-opératoires peuvent être ressentis comme des douleurs postopératoires lors du réveil, lorsque les soins analgésiques sont insuffisants. C’est pourquoi, il est primordial d’administrer des analgésiques aussi bien en phase intra-opératoire qu’en postopératoire: il en va du standard médical et éthique actuel. Les composants d’une analgésie multimodale agissent à différents niveaux dans la cascade de formation et de transmission de la douleur (fig. 1).
Risques liés à la douleur postopératoire
Les douleurs postopératoires ont une multitude d’effets: elles entravent la guérison, réduisent l’appétit, ont un effet négatif sur le système cardiorespiratoire, favorisent les processus métaboliques cataboliques, augmentent le risque d’infection, prolongent la convalescence, provoquent une hypersensibilité centrale et jouent un rôle décisif dans l’apparition de douleurs chroniques3. Il existe différents outils, validés ou non, permettant de déceler la présence d’une douleur aiguë chez le chien comme chez le chat et d’en déterminer le degré. On peut citer comme exemples d’échelles la Short Form de la Glasgow Composite Measure Pain Scale pour les chiens ou la Feline Grimace Scale pour les chats. La publication de Mathews et al.4 offre une bonne vue d’ensemble à cet effet. D’un point de vue tant moral qu’éthique, il nous revient à nous, vétérinaires, de promouvoir le bien-être animal.
Opioïdes
Selon l’échelle analgésique de l’OMS pour le traitement des douleurs aiguës, les opioïdes sont des médicaments efficacies utilisés en association à d’autres analgésiques. Dans la famille des opioïdes, les agonistes purs des récepteurs µ (par ex. morphine, méthadone ou fentanyl) offrent l’analgésie viscérale et somatique la plus efficace. Par consequent, les agonistes purs des récepteurs µ sont le choix intra-opératoire idéal pour les opérations modérément à fortement douloureuses. Leur spectre d’effets secondaires est également plus large que celui de la buprénorphine, agoniste partiel des récepteurs µ, et du butorphanol, antagoniste des récepteurs µ et agoniste des récepteurs κ. En raison de leur efficacité analgésique moindre et de leurs propriétés de fixation des récepteurs, ces deux médicaments devraient être utilisés postopérativement lors d’interventions modérément à fortement douloureuses.
Anti-inflammatoires non stéroïdiens
L’acte chirurgical produit toujours une réaction inflammatoire. Ainsi, l’administration d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) est recommandée (si le cas clinique le permet). Cette classe de médicaments agit en inhibant l’enzyme cyclooxygenase: dans le cadre de la cascade inflammatoire, cela catalyse la formation de médiateurs inflammatoires tels que les prostaglandines et les thromboxanes. Les AINS agissent aussi au niveau périphérique, directement à l’origine de l’inflammation. Il est important de rappeler que les AINS ne peuvent être prescrits, si le patient souffre de maladies rénales, si le patient présente un état cardiovasculaire instable (par ex. hypotension existante ou escomptée). Les AINS peuvent être administrées avec prudence si l’animal présente des symptomes digestifs (vomissement, diarrhée).
Métamizole
Le métamizole est considéré comme l’analgésique non opioïde le plus puissant avec d’excellentes propriétés spasmolytiques. Son mécanisme d’action n’est pas totalement élucidé à ce jour. Les mécanismes d’actions proposés sont une inhibition centrale de la COX-3, ainsi que des effets au niveau des récepteurs à opioïdes, à NMDA, aux cannabinoïdes et au glutamate. C’est pourquoi, le métamizole est recommandé dans le cas où les AINS classiques sont contre-indiqués, même si son effet sur la fonction rénale n’est pas claire. En cas d’administration intraveineuse (IV), celle-ci doit être lente, de 10 à 20 minutes. L’administration rapide IV peut entraîner une vasodilatation, résistante au traitement et pouvant être létale. La forme de solution injectable propose deux solvants différents: de l’eau ou de l’alcool benzylique. Chez le chat, toute préparation contenant de l’alcool benzylique doit être évitée, car cela peut entraîner des complications chez cette espèce.
Paracétamol
Comme le métamizole, le paracétamol est de la famille des AINS non-classiques. Ce médicament ne doit pas être utilisé chez le chat, du fait de sa toxicité létale chez cette espèce. Chez le chien, il peut se substituer à un AINS classique ou être administré en complément de celui-ci. Son administration peut être en perfusion IV courte intra-opératoire. Chez les patients avec des problèmes hépatiques, le paracétamol est contre indiqué.
Kétamine
En raison des propriétés analgésiques de la kétamine, un bolus IV à dose subanesthésique peut fournir une analgésie intraopératoire supplémentaire. La kétamine peut également être utilisée en perfusion continue à une dose subanesthésique lors d’interventions très douloureuses, en intraopératoire voire en postopératoire chez un patient éveillé. Pour la gestion de la douleur postopératoire, la kétamine peut être aussi administrée par voie sous-cutanée (SC) à une dose analgésique. Certaines maladies cardiaques ou rénales, ainsi que les maladies entrainant une pression intraoculaire élevée, constituent des contre-indications à l’utilisation de la kétamine.
Lidocaïne
La lidocaïne est utilisée en premier lieu comme anesthésique local. Par ailleurs la perfusion de lidocaïne IV chez le chien permet une analgésie systémique et présente un effet de piégeage des radicaux libres: cela est mis à profit lors de stress ischémique dû par exemple à des torsions d’organes. La lidocaïne est également indiquée en prévention et pour le traitement des arythmies ventriculaires, par exemple lors de splénectomie. Comme pour toutes les perfusions continues, un bolus IV initial permet d’atteindre un taux plasmatique suffisant. Le bolus de lidocaïne doit être injecté lentement, entre 15 à 20 minutes, afin de prévenir les effets indésirables (l’asystolie étant le plus grave). Une perfusion de lidocaïne peut être poursuivie en période postopératoire. Il est important de noter qu’un effet sédatif peut apparaître chez l’animal. Les chats sont particulièrement sensibles à la lidocaïne: son utilisation par voie IV à des fins analgésiques doit donc être évitée chez cette espèce.
Agonistes des récepteurs adrénergiques de type α2
Les agonistes des récepteurs adrénergiques de type α2 (médétomidine et la dexmédétomidine) possèdent également des propriétés analgésiques. Lors d’interventions chirurgicales viscérales, il n’est pas recommandé de les utiliser comme analgésiques exclusifs, mais ils peuvent compléter le plan analgésique sous forme de perfusion continue à dose réduite. En cas d’administration de bolus, les effets secondaires cardiovasculaires (vasoconstriction initiale et bradycardie réflexe) doivent être considérés. Ces effets peuvent être encore plus accentués par l’utilisation concomitante d’opioïdes. Certaines affections cardiaques constituent une contre-indication à l’utilisation des agonistes des récepteurs adrénergiques de type α2 du fait de leur effets secondaires.
Anesthésiques locaux
Aujourd’hui les anesthésiques locaux sont administrés via les techniques neuraxiales (par ex. l’anesthésie péridurale ou spinale) et les techniques régionales (par ex. bloc TAP5,6 ou le bloc quadratus lumborum7) qui nécessitent un équipement, des connaissances, des compétences ainsi qu’une expérience approfondie. Cependant, les anesthésiques locaux peuvent être directement et plus simplement administrés sur la ligne d’incision ou par voie intrapéritonéale durant les interventions chirurgicales viscérales. Dans le cas de l’infiltration au niveau de la ligne d’incision, un anesthésique local à action rapide est injecté par voie SC dans la zone prévue d’incision. Par exemple, lors d’une ovariectomie, il est possible d’infiltrer préventivement le ligament suspenseur ovarien avant la traction chirurgical ce qui permet d’éviter une stimulation nociceptive. Pendant la castration des mâles, une infiltration intratesticulaire avant la pose des ligatures permet une analgésie totale. Dans le plan d’analgésie multimodale postopératoire, un anesthésique local à longue durée d’action peut être instillé dans la cavité abdominale. Ce bloc local anesthésie les terminaisons nerveuses libres du péritoine. Des effets positifs ont été démontrés pour la lidocaïne, la bupivacaïne, la lévobupivacaïne et la ropivacaïne. Cependant l’effet semble dose et volume dépendant8, 9, 10. Des études sur le sujet sont actuellement en cours à l’Hôpital vétérinaire de Zurich. L’anesthésique local peut être appliqué sur les couches musculaires de la paroi abdominale ainsi que l’hypoderme au niveau de la ligne d’incision peuvent également avant la fermeture chirurgicale, afin de réduire la douleur postopératoire.
Conclusion
A ce jour, l’association des analgésiques systémiques avec les techniques anesthésiques locales et régionales constitue le standard actuel pour assurer une analgésie correcte lors d’intervention chirurgicale viscérale. Cependant il est important de prendre en compte les composantes non pharmacologiques tels qu’un environnement calme et une manipulation peu stressante. En effet, ces éléments contribuent à réduire les douleurs postopératoires et à améliorer ainsi le bien-être de nos patients à quatre pattes.
En règle générale, le traitement de la douleur doit être commencé le plus tôt possible et être pensé de manière multimodale. En cas d’incertitude dans l’évaluation des signes de douleur, l’animal doit être traité puis réévalué.
Références
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www.tierspital.uzh.ch/de/klinische-diagnostik-services/anaesthesiologie.html