Focus
Méthodes non aversives dans l’utilisation de la souris et du rat en expérimentation
Connaître le comportement des souris et des rats permet d’être à leur écoute et de les rendre plus confiants. Cela réduit le stress des animaux de laboratoire et améliore ainsi la qualité des données.
Lorsque des souris ou des rats sont utilisés dans des expériences, il faut veiller à les traiter avec ménagement, et ce pour trois raisons. Il y a des raisons juridiques: les dispositions légales prescrivent une manipulation douce dans les expériences, mais aussi dans les élevages d’animaux de laboratoire eux-mêmes. Les raisons éthiques disent que la contrainte subie par l’animal, éventuellement inévitable pour atteindre l’objectif de l’expérience, doit être maintenue au niveau le plus bas possible, sinon son utilisation ne serait pas éthiquement justifiable. Et il y a des raisons scientifiques: une manipulation douce de l’animal réduit le stress de l’animal, ce qui permet d’obtenir des données de meilleure qualité. De plus, la manipulation de l’animal est facilitée.
Au cours des dernières années, certaines techniques ont été étudiées ou développées pour réduire avec succès le stress chez la souris et le rat et sont de plus en plus utilisées dans les laboratoires de recherche en Suisse. Elles permettent à l’animal de mieux s’habituer à l’homme et de ne pas réagir de manière aversive, c’est-à-dire en rejetant le contact avec la personne. Quelques exemples sont présentés ci-dessous.
Manipulation par tunnel (souris)
La manipulation par tunnel est la pratique consistant à retirer une souris de sa cage à l’aide d’un petit tunnel, par exemple pour l’examiner ensuite ou la transférer dans une autre cage1. La plupart du temps, on utilise des tunnels courts et transparents en plexiglas dans lesquels la souris entre d’elle-même. Il est ensuite possible de soulever l’animal avec le tunnel et de le sortir de sa cage, par exemple pour le faire courir hors de la cage sur la main de l’examinateur.
Cette technique s’appuie sur le comportement biologique des souris: elles apprécient les tunnels et s’y engouffrent dès qu’elles ont perdu leur crainte naturelle du nouvel objet dans leur cage. Pour y parvenir, il faut un peu d’entraînement pour la souris, mais aussi pour la personne qui s’occupe d’elle.
Une autre solution consiste à saisir la souris par la queue et à la soulever. Cela va certes un peu plus vite dans la plupart des cas, mais il est prouvé que cela entraîne un stress supplémentaire chez la souris2, 3. Cela est probablement dû au fait que la main est perçue comme un prédateur venant d’en haut, ce qui peut entraîner de la peur. Les souris habituées à la manipulation en tunnel sont généralement plus dociles et plus sociables. On a également observé que les incidents de morsure étaient moins fréquents lorsqu’elles étaient manipulées. Elles semblent donc moins stressées, et les personnes qui les manipulent aussi. Il n’est pas recommandé d’utiliser la manipulation en tunnel dans certaines conditions, par exemple lorsque les conditions d’hygiène sont très strictes dans certains élevages expérimentaux ou lors d’expériences d’infection présentant un risque de zoonose.
Cup-handling (souris)
Cup signifie en anglais «tasse» ou «bol», ce qui correspond à la forme que prennent les deux mains pour accueillir une souris et la sortir de sa cage. Soit la souris se déplace d’elle-même vers les mains en forme de «cup», soit (si elle n’est pas encore très familière avec la procédure) on referme les deux mains sous la souris pour former une «cup»1. Cette technique ne provoque pas de stress chez l’animal, car le contact direct avec l’homme le rend assez docile, mais il faut compter avec un temps d’entraînement plus long par rapport à la manipulation en tunnel. En plus des mêmes restrictions que celles décrites pour la manipulation en tunnel, cette méthode ne convient pas aux souris qui bondissent souvent.
Auto-dosage oral (souris et rat)
Comme chez les animaux plus grands, les substances ingérées par voie orale peuvent être administrées à la souris et au rat par le biais d’une substance porteuse au goût appétissant pour eux. Dans certains cas, cela peut rendre inutile l’utilisation d’une sonde oral, qui est de toute façon plus désagréable pour les animaux. Par exemple, les analgésiques peuvent être cachés dans du Nutella, qui est étalé sur le bord de la cage et que les animaux lèchent4. Si le dosage doit être plus précis, on peut aussi habituer les animaux à lécher directement de la seringue les substances contenues dans des supports qu’ils trouvent appétissants5. Les solutions sucrées, mais aussi le Nutella, le miel ou la bouillie pour bébé ont fait leurs preuves en tant que substances porteuses.
Chatouilles – Tickling (rat)
Comme pour la manipulation des tunnels, le chatouillement des rats utilise le comportement biologique du rat. Cette méthode a été développée par une équipe de neuroscientifiques qui ont étudié les émotions positives et les vocalisations ultrasoniques chez les rats. Ils ont constaté que les jeunes rats jouent en courant et en luttant entre eux. Un rat saute sur la nuque d’un autre rat qui se retourne pour retenir son camarade de jeu. Ce comportement est imité lors du chatouillement des rats et provoque des émotions positives chez les animaux – que l’on peut même rendre audibles. Certes, les animaux ricanent dans une gamme d’ultrasons inaudibles pour l’homme, mais un détecteur de chauve-souris permet de rendre les bruits audibles pour l’homme. Les chatouilles des rats augmentent le bien-être des animaux, améliorent la relation entre l’homme et le rat et minimisent le stress dans le contexte expérimental6, 7. Cette technique n’est pas recommandée pour les souris, car les souris ne présentent pas ce type de comportement – la souris mordrait si on essayait de la chatouiller.
Conseils pratiques sur l’utilisation de la souris et du rat
- Veillez au calme et évitez les mouvements rapides afin de ne pas effrayer les animaux. Ou-vrez la cage avec précaution et creusez la litière avec votre main pour qu’elle prenne l’odeur de la cage; cela peut détendre un peu les animaux. Enlevez les jouets/nids qui gênent.
- Les rongeurs sont curieux – laissez-leur le temps de faire connaissance avec votre main. Les rats mordillent parfois votre main; il ne s’agit pas d’une morsure, mais d’une manière de faire connaissance pour le rat.
- Manipulation par tunnel (souris): placez un tube en plexiglas ou un objet similaire, comme un rouleau de papier toilette, sur le côté et dans le coin de la cage. Guidez lentement la souris concernée vers le tunnel en faisant glisser la paume de la main posée derrière la souris. Évi-tez de vous précipiter – la souris aura peut-être besoin de plusieurs tentatives. Soulevez le tunnel avec la souris à l’intérieur et fermez les deux ouvertures (laissez toujours des trous d’aération). Vous pouvez maintenant inspecter l’animal de tous les côtés ou, par exemple, le placer dans une autre cage/une balance pour la pesée ou la faire marcher sur votre main.
- Cup-handling (souris): uniquement si l’animal est docile (sinon, il faut d’abord l’entraîner, ce qui ne serait pas possible dans le cadre de l’examen vétérinaire). Soit vous laissez l’animal courir sur vos mains et vous les refermez pour former une cavité, soit vous refermez prudemment les deux mains en venant du côté (par exemple dans un coin de la cage où la souris ne peut pas s’échapper facilement). N’utilisez en aucun cas la cup-handling sur des animaux qui aiment sauter ou qui ne sont pas dociles.
- Les rats dociles marchent souvent de leur plein gré sur la main de la personne. Alternativement, ils sont saisis avec précaution d’une main, en entourant leur cage thoracique (sans presser, sinon la respiration est entravée) et en stabilisant l’arrière-train du rat avec la deuxième main.
- L’auto-dosage par voie orale fonctionne bien chez les rongeurs, comme chez les autres ani-maux. Toutefois, certains animaux présentent une néophobie très prononcée. En discutant avec les propriétaires des animaux, il est toutefois possible de déterminer s’il existe des sup-ports possibles (bouillie pour bébé, solution au miel, saucisse de foie, etc.) que les animaux connaissent déjà et dans lesquels on peut cacher un médicament.
Références
- https://www.nc3rs.org.uk/3rs-resources/mouse-handling/mouse-handling-video-clips
- Hurst JL, West RS (2010) Taming anxiety in laboratory mice. Nature Methods 7: 825-826. doi: 10.1038/nmeth.1500
- Gouveia K, Hurst JL (2013) Reducing mouse anxiety during handling: Effect of experience with handling tunnels. PLoS ONE 8(6): e66401. doi: 10.1371/journal.pone.0066401
- Abelson et al. (2012) Voluntary ingestion of nut paste for administration of buprenorphine in rats and mice. Laboratory Animals; 46: 349–351. doi: 10.1258/la.2012.012028
- Scarborough et al. (2020) Preclinical validation of the micropipette-guided drug administration (MDA) method in the maternal immune activation model of neurodevelopmental disorders. Brain, Behavior, and Immunity, Volume 88, 461-470, doi: 10.1016/j.bbi.2020.04.015
- Cloutier et al. (2018) Tickling, a Technique for Inducing Positive Affect When Handling Rats. https://review.jove.com/t/57190/tickling-a-technique-for-inducing-positive-affect-when-handling-rats, doi:10.3791/57190
- LaFollette et al. (2018) Practical rat tickling: Determining an efficient and effective dosage of heterospecific play. Applied Animal Behaviour Science, Volume 208, 82-91, doi: 10.1016/j.applanim.2018.08.005.