Journal Schweiz Arch Tierheilkd  
Verlag GST  
Heft Band 165, Heft 7_8,
juillet 2023
 
Thema Sonderheft Tierwohl / cahier spécial Bien-être animal  
ISSN (print) 0036-7281  
ISSN (online) 1664-2848  
online seit 04 juillet 2023  
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Focus

«Il faut commencer par rencontrer l’autre sur le plan émotionnel»

Nicolas Gattlen, journaliste indépendant

Regula Flisch, experte en communication, dispose d’une longue expérience dans la protection de l’enfance. Les enjeux communicatifs sont très ­comparables à ceux de la protection des animaux. En interview, elle explique comment désamorcer les conflits et trouver des solutions consensuelles.

Madame Flisch, les vétérinaires sont régulièrement confrontés à des situations délicates dans leur travail quotidien, par exemple lorsqu’ils constatent une lacune dans une étable et qu’ils doivent confronter le propriétaire de l’animal à cette situation. Comment leur conseillez-vous de procéder?
Regula Flisch: Tout d’abord, il est important d’essayer de faire passer le rapport de pouvoir au second plan et de trouver une base commune. Les vétérinaires doivent être conscients qu’ils sont dans une position très différente de celle des détenteurs d’animaux. Ceux-ci ont peur d’être critiqués et sanctionnés, voire même qu’on leur retire leurs animaux. Ils perçoivent donc le vétérinaire comme une menace et, faute d’autres émotions disponibles, réagissent souvent par de la colère.

On a donc beau argumenter objectivement, pourquoi le message ne passe-t-il pas?
Fondamentalement, il n’existe pas de communication exclusivement au niveau de l’information. Toute communication comprend, outre le contenu, un aspect relationnel. Le niveau relationnel exprime la manière dont l’émetteur et le récepteur se comportent l’un envers l’autre et comment ils se jaugent mutuellement.

Et cet aspect relationnel détermine l’interprétation de ce que l’on entend?
C’est cela. Lorsqu’un vétérinaire affirme que les animaux n’ont pas assez de fourrage ou d’exercice physique, le destinataire risque d’interpréter cela comme une attaque personnelle. Il est donc important de prendre en compte l’aspect relationnel. C’est souvent celui-ci qui est à l’origine des malentendus et des conflits. Lorsqu’une conversation est menée «d’égal à égal», le message est plus facile à faire passer.

Toutefois, le rapport de pouvoir est une réalité. On ne peut la nier.
C’est vrai, mais on peut la reléguer au second plan. Par l’empathie. Dans un premier temps, il s’agit d’identifier les sensations, les pensées et les peurs des détenteurs d’animaux et de capter leurs émotions. Il faut commencer par rencontrer l’autre sur le plan émotionnel.

Et de quelle manière?
Par exemple, avec une phrase telle que: «Je comprends vos inquiétudes, c’est une situation difficile.» Il peut aussi être utile de mettre en évidence les intérêts communs: le bien-être des animaux. En règle générale, les deux parties souhaitent que les animaux se portent bien. Ce n’est qu’une fois parvenus sur cette base commune que l’on peut venir avec les faits et expliquer, par exemple, comment se définit une détention conforme à la protection des animaux et ce que prévoit la loi en cas d’infraction.

En fin de compte, les vétérinaires doivent cependant aussi prendre des décisions parfois douloureuses pour les propriétaires d’animaux, comme le fait de devoir retirer leur animal bien-aimé. Quelle est la meilleure façon de communiquer cette décision?
Là encore, il est utile de trouver une base commune. L’idéal est d’associer les éleveurs à la recherche de solutions. On peut par exemple faire appel à leur amour des animaux: «Vous aimez vos animaux, aidez-les à trouver une bonne place.»

Quel est l’impact de cette implication?
Elle renforce le sentiment d’autonomie et d’auto-efficacité. Je me souviens d’un cas dans lequel j’étais impliquée en tant qu’accompagnatrice socio-éducative de la famille. Lors de ma visite, j’ai constaté que la famille, qui avait également des enfants en bas âge, détenait un Rottweiler dans l’appartement, sans l’autorisation nécessaire. J’ai devais faire une déclaration de danger concernant les enfants et informer la famille que le chien ne pouvait pas rester avec elle. Ensemble, nous avons alors trouvé une bonne solution pour le chien. Il a été hébergé par des amis de la famille qui disposaient d’une autorisation correspondante. La famille a également apprécié cette solution. Elle savait que son chien était en de bonnes mains et qu’elle pouvait lui rendre visite.

L’euthanasie peut aussi être un sujet délicat. Comment faire lorsque le propriétaire d’un animal ne peut se résoudre à pratiquer l’euthanasie, alors que celle-ci devrait être effectuée d’un point de vue médical?
Là encore, il est important en premier lieu de faire preuve d’empathie. On peut par exemple demander quelle importance a l’animal pour les personnes qui le possèdent et exprimer le fait que le collier ou le nom de l’animal nous plaisent. Cela permet de créer une proximité, une base de confiance qui rend les propriétaires d’animaux plus réceptifs à l’argumentation subséquente. Dans de nombreux cas, il est en outre utile de laisser aux gens un peu de temps pour prendre congé et de discuter avec eux de la manière dont un départ digne pourrait être organisé, par exemple sous la forme d’une petite cérémonie.

À quoi faut-il faire attention dans l’argumentation?
Lorsque des sujets tels que l’euthanasie ou les infractions à la protection des animaux sont abordés, les propriétaires d’animaux concernés sont souvent en proie à des émotions. Dans leur tête, c’est la pagaille, raison pour laquelle il faut bien structurer ses arguments. Par exemple, sous la forme d’une énumération: premièrement, deuxièmement, troisièmement. Ou avec «d’une part/d’autre part»: quels sont les arguments pour, lesquels contre? À la fin de l’argumentation, on peut résumer les points les plus importants. La règle est la suivante: énumérer trois points au maximum, le cerveau n’est généralement pas en mesure d’en retenir plus, surtout lorsque l’on est bouleversé.

Au cours de vos nombreuses années de travail dans le domaine de la protection de l’enfance, vous avez été confrontée à des situations très critiques. Vous avez notamment déjà été menacée avec un fusil de chasse. Les propriétaires d’animaux réagissent aussi souvent de manière très émotionnelle, par exemple lorsqu’ils craignent qu’on leur retire leur animal bien-aimé ou que leur existence d’agriculteur ou d’éleveur de chevaux soit en jeu. Que faire lorsqu’une situation menace de dégénérer?
En cas de menaces anticipées, je recommande de faire appel à la police et de rendre visite aux auteurs des menaces sous escorte policière. Si l’on se sent mal à l’aise, même sans menace préalable, il vaut mieux y aller à deux. De manière générale, il peut toujours être intéressant de mener des discussions délicates en duo. Une personne peut alors jouer le rôle du «méchant» et l’autre celui du «gentil». Mais cela ne fonctionne que dans une équipe bien rodée.

Et lorsqu’une conversation dégénère de manière inattendue?
Dans ce cas, il convient d’interrompre à temps et de fixer un nouveau rendez-vous. Les interruptions sont par ailleurs souvent utiles. Les pauses permettent souvent aux personnes de se calmer un peu. Et lorsqu’elles restent «animées», il est recommandé de définir des règles de discussion, notamment de s’abstenir de toute forme de menace ou d’insulte. Comme je l’ai déjà expliqué, de nombreux conflits peuvent toutefois être évités si l’on cherche à rencontrer les gens sur le plan émotionnel. C’est la clé d’une communication réussie et d’une recherche de solutions consensuelle.

Pour conclure, avez-vous encore quelques conseils particuliers à nous donner, à nous vétérinaires?
Pour gérer des sujets ou des situations délicates, il vaut la peine d’échanger avec des consœurs et des confrères. Quelles sont leurs expériences? Quelles sont les stratégies qui ont fonctionné? D’une part, l’échange est important pour sa propre hygiène psychologique, car les rencontres conflictuelles peuvent être très éprouvantes. D’autre part, il permet d’élargir ses connaissances lorsqu’on aborde des sujets délicats. Il existe aussi des formations spécifiques qui peuvent s’avérer utiles.

Regula Flisch. (© zvg)

Biographie

Regula Flisch est vice-rectrice du domaine de la formation continue et des prestations de services à la Haute école pédagogique de Saint-Gall (PHSG) depuis avril 2023. Après avoir obtenu son diplôme d’assistante sociale HES en 2004, elle a acquis une expérience professionnelle dans le domaine du travail social. En 2006 elle a fondé, avec une partenaire commerciale, le service Inspira, actif dans le domaine de la protection de l’enfant et de l’adulte. À partir de 2015, Regula Flisch a occupé différentes fonctions à la Haute école spécialisée de Suisse orientale, notamment en tant que responsable des cours du CAS Brennpunkt Kindesschutz et du CAS Kindes- und Erwachsenenschutz.

 
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