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Quel virus se cache derrière la grippe?

En coopération avec la Faculté Vetsuisse de l’Université de Berne

Alors que le monde entier a le regard tourné vers la pandémie de SARS-CoV-2, un autre virus sévit actuellement en Europe et affecte durement l’industrie avicole. Des centaines de milliers de volailles ont dû être abattues cet hiver pour maîtriser la grippe aviaire. Le responsable de cette épizootie ? Un virus influenza. D’autres virus influenza infectent les porcs ou provoquent la grippe chez l’être humain. Mais quel est le lien entre ces différents virus?

Interview du Dr Gert Zimmer, virologue à l’Institut de virologie et d’immuno­logie (IVI) et à l’Université de Berne.

Rédaction ASMV: Qu’est-ce qui caractérise les virus influenza?
Le terme « virus influenza » désigne une multitude de virus qui se caractérisent par un génome constitué d’un ARN simple brin composé de 7 ou 8 segments. Les virus influenza sont classés aujourd’hui dans 4 genres – les virus influenza A, B, C et D –, lesquels composent la famille des Orthomyxoviridés. Le genre le plus grand est celui des virus influenza A, qui circulent principalement chez les oiseaux sauvages, mais aussi chez divers mammifères et l’être humain. Les virus influenza B et C sont presque tous pathogènes pour l’homme. Quant aux virus influenza D, ils n’ont été découverts que récemment et infectent principalement les vaches, les moutons et d’autres mammifères de grande taille.


Pourquoi les virus influenza sont-ils désignés par les lettres H et N et des chiffres?
Les virus influenza A sont entourés d’une enveloppe lipidique contenant les deux antigènes protéiques contre lesquels le système immunitaire de l’hôte produit des anticorps, l’hémagglutinine (HA) et la neuraminidase (NA). Ces antigènes sont de différentes formes (sous-types) et se distinguent l’un de l’autre par leurs caractéristiques sérologiques et phylogénétiques : 18 sous-types d’HA (H1 à H18) et 11 sous-types de NA (N1 à N11) sont connus à ce jour.

Un virus H5N1 a été mis en évidence chez des poules en Suisse en novembre 2021. Que pouvez-vous nous dire de ce virus ?
Le Centre national de référence pour les maladies de la volaille et des lapins (NRGK) de l’Université de Zurich a établi qu’il s’agissait d’une infection par le virus influenza A aviaire de sous-type H5N1. Le séquençage réalisé ensuite à l’IVI, centre de référence pour les épizooties hautement contagieuses, a permis de déterminer qu’il s’agissait d’un virus hautement pathogène.

Que signifient les expressions «hautement pathogène» et «faiblement pathogène»?
Ces termes se réfèrent à la pathogénicité des virus influenza A chez les oiseaux. Les virus influenza A aviaires hautement pathogènes sont des mutants qui se multiplient très rapidement dans un grand nombre d’organes de l’hôte. Chez la volaille, ils provoquent une maladie grave à l’issue le plus souvent fatale. Pour des raisons encore inconnues, ces virus hautement pathogènes ne se rencontrent que chez les virus influenza A aviaires des sous-types H5Nx et H7Nx.

Les infections par des virus influenza A aviaires sont fréquentes. Comment expliquer leur récurrence?
Une des raisons est que les oiseaux sauvages constituent le réservoir de ces virus. La diversité génétique des virus influenza A chez ces hôtes est énorme. On a identifié à ce jour différentes combinaisons des hémagglutinines H1 à H16 et des neuraminidases N1 à N9 (H5N1, H5N8, H7N1, H9N2, etc.). Une transmission de virus influenza A aviaires des oiseaux aux mammifères et à l’être humain peut se produire de manière occasionnelle. La plupart du temps, les mammifères ne possèdent pas d’immunité préétablie contre ces virus, car les virus influenza A qui circulent chez ces animaux appartiennent à d’autres sous-types HA et NA.    

Existe-t-il des vaccins contre l’influenza destinés aux animaux de rente?
En Europe, la vaccination généralisée des volailles contre les virus influenza A des sous-types H5Nx et H7Nx est interdite, car on a observé que les animaux immunisés par ces vaccins ne tombaient pas malades, certes, mais pouvaient excréter le virus. De ce fait, la maladie peut se propager sans qu’on ne s’en aperçoive. En raison de la situation critique actuelle, la France semble toutefois vouloir recourir à la vaccination.

Il n’existe pas de vaccin autorisé en Suisse contre l’influenza chez les porcs. Dans des cas particuliers, la vaccination de ces animaux au moyen d’un vaccin importé est possible, mais une autorisation d’importation spéciale de l’IVI est requise.
    
Quel est le potentiel zoonotique des virus influenza d’origine animale?
Des études scientifiques ont montré que les virus influenza A aviaires ne se multiplient pas chez l’être humain au point de pouvoir être transmis à d’autres personnes. Cela ne signifie pas que ces virus ne peuvent pas s’établir chez l’homme comme nouvel hôte, mais de nombreuses modifications (mutations) de plusieurs gènes viraux sont nécessaires. Malgré ces barrières, des virus influenza A aviaires ont infecté, par le passé, des personnes qui étaient en contact direct avec de la volaille infectée. L’OMS a enregistré, entre 2003 et 2021, 862 cas d’infection par une souche asiatique H5N1, qui était associée à un taux de mortalité très élevé (56 %). Cependant, une transmission interhumaine du H5N1 n’a heureusement pas été observée. La situation est différente pour les virus influenza A porcins : ceux-ci peuvent s’adapter très facilement à l’être humain.

Pourquoi le porc joue-t-il un rôle particulier dans l’apparition de pandémies de grippe?
Les porcs sont réceptifs aux virus influenza A non seulement porcins, mais aussi humains et aviaires. S’ils sont infectés simultanément par deux virus influenza A différents, un échange de segments de génome entre les virus peut se produire en raison de la segmentation de leurs génomes. Les virus ainsi formés sont dits « réassortis » et contiennent des segments de génome des deux virus parents. Si les segments échangés sont ceux portant l’information génétique codant l’antigène HA et/ou l’antigène NA, les virus réassortis peuvent présenter de nouvelles caractéristiques antigéniques pour lesquelles il n’existe pas d’immunité dans la population. Le danger est que ces virus réassortis soient à l’origine d’une pandémie. Les exemples connus sont ceux de la grippe asiatique de 1957, de la grippe de Hong Kong de 1968 et de la grippe porcine de 2009.

Lorsque nous attrapons la grippe en hiver, quel virus influenza nous infecte?
Ces dernières années, la grippe était causée par des virus influenza A des sous-types H1N1 et H3N2 et par des virus influenza B. C’est pourquoi le vaccin contre la grippe, administré tous les ans en automne, contient les antigènes de ces trois sous-types viraux. En raison de l’évolution continue des antigènes de ces virus par mutations (« dérive antigénique »), les vaccins doivent être actualisés tous les ans.

Quelles recherches sur les virus influenza sont menées à l’IVI?
Nous poursuivons l’objectif d’améliorer les vaccins existants et d’en développer de nouveaux pour la protection contre les virus influenza A. Les premiers résultats montrent que des vaccins modernes peuvent empêcher totalement l’excrétion des virus influenza A des sous-types H5Nx et H7Nx chez les poules. Ces vaccins ne protégeraient pas seulement la volaille contre la maladie, mais réduiraient aussi le risque de transmission à l’être humain.

En raison de l’importance du porc domestique comme hôte intermédiaire dans l’émergence des virus influenza A pandémiques, nous travaillons aussi au développement de vaccins à application nasale pour induire une réponse immunitaire muqueuse chez ces animaux et empêcher une infection à la porte d’entrée de l’hôte. Un autre défi est la variabilité prononcée des virus. Nous essayons donc de mettre au point des vaccins permettant d’induire une large immunité contre différents virus influenza A. Nous avons déjà fait un pas en direction de cet objectif, en montrant qu’une réponse immunitaire protectrice pouvait être induite non seulement par l’antigène HA très variable, mais aussi par l’antigène NA nettement plus stable.

Gert Zimmer, IVI