Journal Schweiz Arch Tierheilkd  
Verlag GST  
Heft Band 164, Heft 9,
septembre 2022
 
Thema Themenheft Tollwut | Cahier thématique Rage  
ISSN (print) 0036-7281  
ISSN (online) 1664-2848  
online seit 30 août 2022  
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Rage

Quarantaine pour les chiots

Un plaidoyer pour la vie

Dr med. vet. Lisa Goldinger, au nom du comité de l’AVSPA
Association vétérinaire suisse pour la protection des animaux

www.stvt.ch

L’Association vétérinaire suisse pour la protection des animaux (AVSPA) s’intéresse depuis des années au commerce illégal de chiots. Du point de vue de la protection des animaux, on ne peut accepter ni les conditions souvent catastrophiques dans lesquelles les chiots naissent et sont élevés, ni le placement beaucoup trop précoce, avec des transports de plusieurs jours qui prennent en compte des pertes à la légère.

Il est également difficile de supporter que nous, vétérinaires, devions euthanasier des chiots sur décision officielle en raison d’une suspicion de rage, sachant par ailleurs que la détection du virus sera très probablement négative 1 lors de l’examen consécutif.

La rage a pratiquement disparu en Suisse et dans les pays environnants. La plupart des consœurs et confrères ne la connaissent d’ailleurs que des manuels, n’ayant aucune expérience propre à leur actif avec la zoonose. Sans anamnèse correspondante avec séjour à l’étranger et morsures, cette maladie ne figure d’ailleurs pas non plus sur notre liste de diagnostics différentiels; d’autant moins du fait des symptômes non spécifiques constatés durant la phase initiale de la maladie. La rage est par contre encore présente de manière sporadique en Europe de l’Est.2 Dans ce cas, la situation épidémiologique n’est pas seule déterminante en termes de dispositions d’importation en Suisse : l’appartenance à l’UE ou le statut de reconnaissance du risque de rage font foi. Que des cas soient encore déclarés ou non, la puce électronique, le vaccin contre la rage et le passeport pour animaux de compagnie suffisent pour les importations en provenance des États membres de l’UE et de douze autres pays européens. Il y a également le groupe des «pays à risque de rage faible», le reste étant considéré comme pays à risque de rage,3 pour lesquels s’appliquent les «règles des pays tiers», indépendamment du nombre de cas de rage publiés. À titre d’exemple, la Roumanie (membre de l’UE) a déclaré dix cas de rage chez des animaux domestiques au cours des cinq dernières années,2 alors que la Serbie – figurant sur la liste des pays à risque de rage – n’en a déclaré qu’un seul.2 On ne sait bien entendu pas si et avec quelle fiabilité les différents pays clarifient et déclarent leurs nombres de cas. Pourtant, même l’OMS classe la Serbie comme indemne de rage.2

Mais l’OMS n’a rien à dire sur qui doit être mis en quarantaine ou non. Seule la liste suisse fait foi. Pour les chiots importés, cela signifie que ceux qui viennent ou pourraient juste potentiellement provenir d’un pays tiers sont par principe suspects d’être porteurs de la rage. Si cette suspicion est certes tout à fait justifiée pour un certain nombre de pays, elle ne doit toutefois pas justifier en soi une euthanasie. Nous devons donc trouver un moyen de faire passer ces animaux par une période de quarantaine de 120 jours sans dommages physiques ni psychiques.

Quarantaine professionnelle pour la rage

Nous estimons qu’il est urgent de mettre en place une quarantaine professionnelle pour la rage. Le commerce des chiots est très lucratif et n’est aujourd’hui ni combattu sérieusement, ni suffisamment organisé ou même réprimé. La demande de chiots est très élevée en Suisse, raison pour laquelle le nombre de marchands de chiens ingénieux et peu scrupuleux qui font produire des chiots augmente. Ceux-ci sont désormais si bien organisés que les personnes non informées et non expérimentées intéressées par des chiens ne se doutent pas de la supercherie. Il arrive ainsi que le transfert des chiots se fasse dans l’appartement d’une gentille famille, avec une gentille propriétaire de chien. Les vaccins ont été faits correctement et au jour près, selon le passeport pour animaux de compagnie et des conseils en alimentation ainsi que des fiches techniques sont même parfois distribués. Cependant, après l’achat, personne n’est plus joignable à l’adresse correspondante et le numéro de téléphone indiqué n’est pas valable. Même lorsque les abus sont évidents, par exemple lorsque la remise a lieu sur une aire d’autoroute au milieu de la nuit, l’acquéreur ne veut souvent plus reculer, dans le seul but de sauver le pauvre chiot.

La provenance des chiots se déplace vers les pays à risque de rage

La «production» des chiots se déplace de plus en plus des pays de l’Est vers les pays du Sud, qui présentent véritablement un risque de rage élevé. On observe ainsi de plus en plus souvent des chiots introduits en Suisse via la France en provenance d’Afrique du Nord. À l’avenir, il faut donc s’attendre à voir un plus grand nombre d’animaux provenant de pays à risque de rage reconnu. Voulons-nous vraiment tous les euthanasier? Ou les placer en quarantaine à domicile, ce qui n’est pas sans danger et difficilement contrôlable? Dans ce type de quarantaine, les personnes en charge ne sont en effet ni formées à la reconnaissance des symptômes précoces ni même protégées contre la rage par une prophylaxie préexpositionnelle. Et voulons-nous tuer justement les chiots qui ont eu la «chance» de voir leur illégalité reconnue? C’est une triste réalité, nous ne pouvons en détecter qu’une fraction. Les autres échappent à tout contrôle et vivent quelque part, faisant fi d’un éventuel risque de rage.

Pourquoi ce boom du commerce des chiots?

La réponse est simple: il n’y a pas suffisamment de chiens dans notre pays. En Suisse, on dénombre environ 60 000 enregistrement de chiens par an.4 À peine la moitié de ces besoins peuvent être couverts par l’élevage national. Environ 36 000 chiens sont importés chaque année, dont un tiers de chiots de moins de 98 jours.4 Chaque jour, 32 chiots trouvent donc un nouveau propriétaire en Suisse, une tendance qui est à la hausse.

Les autorités douanières et vétérinaires parviennent de temps à autre à découvrir un chiot importé illégalement. C’est là que débutent les problèmes. Des problèmes qui, sur le plan émotionnel, nous mettent à rude épreuve, nous vétérinaires: il n’est pas rare que les chiots soient malades ou affaiblis et aient besoin de soins vétérinaires intensifs. Même pour les animaux en bonne santé, un problème supplémentaire vient s’ajouter : en l’absence de preuve évidente de l’origine de l’animal, une suspicion officielle de rage est émise. La législation suisse offre aux autorités trois possibilités dans de tels cas: refoulement, mise à mort ou séquestre.5 Pour l’application, les services vétérinaires cantonaux sont compétents.

Refoulement, euthanasie ou séquestre

Le renvoi ou le retour dans le pays d’origine n’est souvent pas possible, parce que les animaux ont été remis sur une sortie d’autoroute ou une aire de repos. En outre, l’accord du pays d’origine est nécessaire et l’exportation doit être confirmée par l’autorité douanière correspondante. Par ailleurs, les animaux ont fréquemment un voyage de plusieurs jours jusqu’en Suisse derrière eux et sont déjà malades ou affaiblis, de sorte qu’un rapatriement est pour eux généralement synonyme de mort certaine ou du moins d’un destin très incertain.

Du point de vue des autorités, l’euthanasie est une décision séduisante: élimination sûre et peu coûteuse d’un cas potentiel de contamination. Les propriétaires sont souvent poussés à consentir à l’euthanasie compte tenu de la prise en charge des frais, en leur rappelant la dangerosité de la rage. Bien que le risque soit minime, la peur fait son effet. Ce n’est toutefois pas de peur dont nous aurions besoin, mais d’évaluation des risques au cas par cas et d’allier expertise médicale et humanité: nous avons l’obligation morale de trouver une meilleure solution pour ces êtres vivants innocents. Le problème est d’origine humaine et il doit donc être résolu par l’être humain, sans tuer inutilement.

Le séquestre est clairement la seule voie possible

pour sauver les chiots. Néanmoins, ce que les autorités décident ensuite pour ces animaux varie fortement. ­L’AVSPA a souhaité en avoir le cœur net, raison pour laquelle elle a mené une enquête auprès des cantons en 2021. Les réponses ont été très variées (tableau 1).

Nous pouvons et devons faire mieux!

Certains cantons ordonnent fréquemment une quarantaine à domicile, tandis que pour d’autres l’euthanasie est immédiate. Tous soulignent cependant l’importance d’une bonne socialisation des chiots en cas de quarantaine.6 Nous pouvons et devons faire mieux: une quarantaine qui offre à la fois sécurité ainsi que bonnes possibilités d’imprégnation et de socialisation ! Compte tenu du nombre inconnu de chiots importés illégalement et non recensés par les autorités (y compris en provenance de pays à risque de rage) et de l’importation soudainement facilitée d’animaux domestiques ukrainiens, il est difficile de comprendre pourquoi aucune chance de survie n’est donnée à quelque 60 chiens (pour la plupart des chiots) tués chaque année.

Dans le cadre de l’enquête, certains cantons ont exprimé leur crainte qu’une quarantaine organisée puisse encore stimuler les importations.6 Cependant, les importations sont à ce point élevées car l’offre indigène en chiens n’arrive pas à répondre à la demande. Un chien mis en quarantaine est séquestré et n’est donc plus intéressant pour un commerçant. Au contraire, il coûte cher au commerçant ou au propriétaire.

Si l’on compare le nombre de chiots importés (12’000) avec le nombre de décisions des autorités (à peine 400), ces inquiétudes sont totalement infondées. Avec ou sans quarantaine, cela ne change rien au fait que des chiots et des chiens continuent d’entrer illégalement en Suisse.

Les éleveurs fautifs doivent assumer les coûts des mesures ordonnées.7 Un aménagement adapté aux chiots devrait faciliter la décision des cantons en faveur d’une quarantaine. Cependant, même s’ils le voulaient, la plupart des propriétaires ne seraient pas en mesure de payer la somme nécessaire à une quarantaine (en plus des frais de procédure et des amendes). Le financement retombe donc sur les cantons, ce qui va déclencher une avalanche d’oppositions. En supposant que chaque chiot en quarantaine spéciale entraîne des frais de 100 CHF/jour, il faudrait dépenser 12 000 CHF par chien.

Quel est le prix d’une vie de chien?

Un tel montant se justifie-t-il pour un chien? De notre point de vue oui. C’est le prix à payer pour choisir entre tuer un animal en bonne santé et avoir la conscience tranquille. Aujourd’hui encore, le souvenir de chaque animal que j’ai dû euthanasier sur décision des autorités me tourmente. J’essayais de me convaincre que la mort était préférable pour les chiots à un syndrome de privation sévère à vie. Aujourd’hui, je connais une meilleure solution: il existe des stations de quarantaine adaptées aux chiots. Il n’y a malheureusement que très peu de refuges en Suisse en mesure de proposer une telle quarantaine. De manière générale, les concepts appropriés manquent, comme d’ailleurs les conditions en termes de personnel ou architecturales permettant de les gérer avec la sécurité nécessaire, tout en offrant aux animaux un hébergement garantissant leur bien-être.

La volonté de mettre un chiot en quarantaine plutôt que de l’euthanasier implique aujourd’hui pour un vétérinaire de s’investir énormément à titre personnel, d’évoluer en eaux troubles au plan juridique, d’avoir rarement les autorités derrière soi et, éventuellement, de devoir en assumer les coûts.

Tout le monde s’accorde à dire que la quarantaine professionnelle avec socialisation est la voie éthiquement correcte. En fin de compte, la discussion portera toute­fois uniquement sur la sécurité et les coûts. Pour ces derniers, il faudra trouver une sorte de «gentlemen’s agreement» entre les autorités et les organisations de protection des animaux. Cela signifie que les coûts devront, dans la mesure du possible, être pris en charge par le responsable, c’est-à-dire l’importateur illégal ou le propriétaire, les autorités se chargeant du paiement intégral dans les délais. Cela devrait également avoir un effet dissuasif, ce qui, aux termes de l’enquête, découle de la volonté des cantons. Cependant, une quarantaine devrait être possible pour chaque chiot, même lorsque personne ne veut ou ne peut en assumer les coûts. Dans ces cas, il est du ressort des organisations de protection des animaux d’assurer un financement. Elles doivent également veiller à ce qu’un tel chiot ne soit pas simplement renvoyé à l’intéressé initial après la quarantaine. Des exemples tirés de la pratique montrent que cela est possible moyennant une bonne collaboration.

Optons pour la vie!

Pour ce qui est de la sécurité, il est indispensable de disposer d’un concept clair pour l’exploitation d’une station de quarantaine. Celui-ci peut être élaboré dans le cadre d’une coopération entre l’OSAV, les cantons et les organisations de protection des animaux. L’AVSPA s’engage déjà dans ce sens. Si toutes les parties peuvent se mettre d’accord sur les conditions d’une quarantaine pour les chiots, il est possible de créer une base stable pour une offre fonctionnelle et sûre. Quant à savoir si ce projet sera mis en œuvre de manière décentralisée, par exemple sous la forme d’une section dans les refuges pour animaux existants, ou sous la forme d’une station nationale indépendante, dépendra, entre autres facteurs, des possibilités de financement. Le concept de sécurité doit comprendre aussi bien les exigences en matière de construction que la vaccination et la détermination des titres des animaux comme du personnel, les mesures d’hygiène, les formations spéciales, les contrôles officiels, etc. Créons la possibilité d’une quarantaine pour les chiots! Optons pour la vie!

Chaque année, 36 000 chiens sont importés en Suisse. En l’absence de preuve univoque de l’origine de l’animal, une suspicion officielle de rage est émise.
Tab. 1 : Vue d’ensemble des décisions prises lors de suspicion officielle de rage.

Papier de position de l’AVSPA: Importations de chiots

Références

1Rapport annuel du Centre suisse de la rage 2021, Centre suisse de la rage, https://www.ivi.unibe.ch/unibe/portal/fak_vetmedizin/b_dept_infdipath/inst_ivv/content/e236965/e237249/files1171125/Ja21TWBKWebA_ger.pdf

2Rabies Information System of the WHO, https://www.who-rabies-bulletin.org/site-page/occurrence-rabies

3Liste des pays avec leur statut au regard de la rage – chiens, chats, furets, https://www.blv.admin.ch

4Lucia Oeschger, Biologin M.sc., Fachstelle Heimtiere des Schweizer Tierschutz STS, Exposé 9e Journées suisses des vétérinaires, Centre des congrès de Bâle, 6.5.2022

5Ordonnance concernant l’importation, le transit et l’exportation d’animaux de compagnie (OITE-AC) du 28 novembre 2014 (État le 1er janvier 2022), art. 29

6STVT-Bericht zur Situation betroffener Hunde/Tierhalter/Veterinärämter bei illegalen Hundeimporten, Mai 2022, http://www.stvt.ch/wp-content/uploads/2022/06/Bericht-Quaranta%CC%88nestation_STVT_Umfrage-2021.pdf

7Ordonnance concernant l’importation, le transit et l’exportation d’animaux de compagnie (OITE-AC) du 28 novembre 2014 (État le 28 novembre 2014), art. 32

 
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