Journal Schweiz Arch Tierheilkd  
Verlag GST  
Heft Band 160, Heft 10,
octobre 2018
 
ISSN (print) 0036-7281  
ISSN (online) 1664-2848  
online seit 01 octobre 2018  
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Entretien

Interview avec Prof. Dr Rico Thun

«Les excellentes institutions de recherche existant en Suisse bénéficient directement aux ASMV»

Monsieur Thun, vous saviez à 12 ans déjà quelle profession vous alliez embrasser: vétérinaire. D’où provenait ce souhait?
Prof. Dr Rico Thun: J’ai grandi en Haute Engadine, dans le village de Samedan, alors encore fortement agricole. Je me souviens par exemple comment je courais après les vaches, amenées tôt le matin sur les pâturages le long de la rue de la gare. Juste en face il y avait la voie ferrée, où mon père, mécanicien de locomotive, passait. Mais les locomotives m’intéressaient beaucoup moins que les vaches. Aussi, je passais mes vacances d’été bien plus volontiers chez mes grands-parents à Ramosch, en Basse Engadine. Avec le temps, je connaissais toutes les étables du village. J’ai toujours été fasciné par le vétérinaire, debout dans les étables avec son stéthoscope et sa mallette, prélevant des échantillons sanguins, réalisant des vaccinations ou posant des bandages aux onglons.

C’est donc ce que vous souhaitiez faire plus tard?
En fait, enfant je nourrissais le souhait de faire quelque chose avec les animaux. Paysan pourquoi pas! Mais mon père m’a persuadé de devenir vétérinaire. Ça n’a pas été trop difficile, car la profession m’offrait tout ce que je souhaitais: le vétérinaire est proche des animaux et peut les aider. Je pense que c’est aujourd’hui encore ce qui motive la plupart des vétérinaires à embrasser cette profession.

À 20 ans, vous vous êtes donc inscrit aux études de médecine vétérinaire à l’université de Zurich, pour constater qu’elles requéraient la maturité fédérale, alors que vous aviez un examen de maturité cantonale en poche.
Ça a été un choc! D’un instant à l’autre, je faisais face au néant. Mes amis m’ont conseillé d’étudier la zoologie ou la biologie, pour lesquelles la maturité cantonale suffisait. Mais il n’en était pas question. Ainsi, je me suis inscrit dans une école professionnelle après l’école de recrue, afin de rafraîchir la matière et me présentais, cinq mois plus tard, à l’examen de maturité fédérale avec toutes les branches. A posteriori, je dois constater que ce malheur avait aussi du bon: j’ai appris à aborder un travail de manière disciplinée et concentrée.

Ces vertus vous ont aussi offert une belle carrière, avec des séjours de recherche aux USA et en Allemagne, de même qu’une chaire de professeur en médecine de la reproduction à la faculté Vetsuisse de l’Université de Zurich. Parallèlement, vous vous êtes passablement éloigné de votre souhait originel, soit d’être proche des animaux.
Je n’ai pas perdu le contact direct avec les animaux, il s’est juste déplacé, la recherche prenant toujours plus d’importance. Le contact et l’intérêt pour le bien-être des animaux n’ont jamais faibli. Le but de toute recherche est de pouvoir appliquer le mieux possible les résultats élaborés au laboratoire.

Quand et pourquoi avez-vous choisi cette voie de la recherche?
Après les études à Zurich, j’ai travaillé durant deux ans comme assistant dans différents cabinets pour bétail, tout en terminant mon travail de doctorat en parallèle. La thèse traitait de l’examen de l’influence médicamenteuse de la motricité utérine chez la truie, un sujet qui a eu un regain d’intérêt dans mon activité de recherche ultérieure. Aux USA, j’ai travaillé une année dans un grand cabinet pour petits animaux du Connecticut, puis j’ai réalisé un internship à la clinique des petits animaux de l’Université d’Urbana-Champaign, en Illinois. Suite à cela, j’ai eu l’opportunité, via des fonds tiers, d’obtenir un poste dans la division de biologie de la reproduction. C’est là qu’a débuté mon activité de recherche.

La biologie de la reproduction allait devenir votre cheval de bataille. Au cours des dernières décennies, on a vu d’énormes progrès dans ce domaine: p.ex. la fertilisation in vitro, le transfert d’embryons, la brebis clonée Dolly ou le sexage du sperme. Une période passionnante pour un chercheur en reproduction.
Oui en effet, ce furent des années fascinantes. Parallèlement, nous avons toutefois constaté que le transfert dans la pratique, respectivement la commercialisation, se sont avérées très difficiles. En Suisse, la recherche était en avance sur son temps. Nous avons ainsi dû interrompre précocement un projet sur la production in-vitro chez les bovins lancé avec succès, dans lequel nous prélevions des ovules directement sur l’animal vivant.

En 2000, vous avez repris le poste de rédacteur en chef des Archives Suisses de Médecine Vétérinaire (ASMV), en parallèle à votre chaire de professeur. Comment cela s’est-il donné?
En automne 1999, mon prédécesseur et collègue de faculté Prof. M. Wanner m’a demandé si je serais disposé à reprendre la rédaction des ASMV. Je n’ai pas dû réfléchir longtemps, la tâche me semblait un défi à relever.

Toutefois vous n’aviez pas d’expérience dans la rédaction. C’était un peu le grand saut! Avez-vous un côté téméraire?
Je n’étais pas non plus tout à fait un bleu, car j’avais déjà publié de nombreux résultats de recherche dans des revues de renommée internationale, comme d’ailleurs dans les ASMV. Je connaissais donc les processus et savais quelles exigences étaient requises à un manuscrit pour qu’il ait de bonnes chances d’être publié. Mais j’avais bien entendu aussi quelques craintes au début. Trouverais-je suffisamment de contributions? Trouverais-je des experts qualifiés pour chaque travail?

Ce sont finalement 220 éditions pour lesquelles vous avez porté la responsabilité de 2000 à début 2018.
Mes craintes de ne pas pouvoir remplir la revue se sont rapidement révélées infondées. Il y a toujours eu suffisamment de manuscrits, bien que pas toujours de manière très régulière, mais le plus souvent par intermittence. J’ai dû définir une bonne stratégie de sélection des thèmes, de l’espèce et aussi de la langue.

Avez-vous dû refuser des articles?
C’est arrivé, mais plutôt rarement. Seuls 3 à 5 pour cent des articles déposés étaient renvoyés, car ils ne remplissaient pas nos critères. En première ligne, une étude devait mener à un gain de connaissances. En font partie un dispositif expérimental solide, une interprétation convaincante des résultats, une présentation simple et un phrasé clair et compréhensible. Ce dernier point nous a parfois donné passablement de fil à retordre, avec des rédactions laborieuses au crayon rouge.

Comment réagissaient les auteurs à ce genre d’interventions?
Ils ont en fait toujours montré beaucoup de compréhension. Dans l’ensemble, je dois dire que la collaboration avec les auteurs, de même qu’avec les experts, était très bonne. Je saisis l’occasion de les remercier une fois de plus.

Chaque publication passait donc comme une lettre à la poste?
En principe oui. Je n’ai eu qu’une seule fois un mauvais incident: pour des raisons qui nous restent inconnues, le paquet contenant les manuscrits rédigés et prêts à l’impression n’est jamais arrivé à l’éditeur …

… scénario catastrophe pour un rédacteur …
Par chance, j’avais une seconde version des articles originaux. Mais j’ai quand même dû remettre l’ouvrage sur le métier et reprendre le travail de rédaction. Et nous avons finalement réussi à terminer le cahier dans les temps. Aujourd’hui, avec le processus de dépôt en ligne des manuscrits, cela n’arriverait plus.

Vous souvenez-vous d’articles dans les ASMV qui ont provoqué de fortes réactions auprès du lectorat?
Durant toutes ces années, je n’ai eu que peu de retours d’information, ni positifs, ni négatifs. Le lectorat semble avoir trop peu de temps et d’intérêt pour réagir aux articles.

Quelle est la place des ASMV dans la communauté scientifique?
Ces dernières décennies, la revue a gagné en profil et en renommée. Un exemple: au début des années 1980, nous avons envoyé aux ASMV un travail sur les variations journalières de la testostérone et du cortisol au moyen d’une méthode d’analyse alors nouvelle. Le rédacteur en poste nous a alors écrit pour dire qu’il n’avait rien contre le fait de publier l’étude dans les ASMV, mais se demandait si ce ne serait pas «jeter des perles aux pourceaux». Je me suis tout d’abord senti honoré de cette réaction. Aujourd’hui, une telle attitude me laisserait songeur. Je pense qu’il ne faut pas pousser trop loin la modestie. Certes les ASMV ne jouent pas en même ligue qu’un «Science» ou un «Nature», mais elles ont une bonne réputation, bien au-delà de nos frontières. Nous avons même des abonnés en Chine!

Y a-t-il un moment fort de la publication, auquel vous vous souvenez avec plaisir?
Il y a eu plusieurs points forts dans tous les domaines, que je ne pourrais tous énumérer ici. Outre quelques travaux de vue d’ensemble rédigés de manière très compétente, les derniers résultats sur le thème des résistances aux antibiotiques, publiés dans en premier lieu dans les ASMV, m’ont fait très plaisir.

D’où proviennent les auteurs des ASMV? Les articles de chercheurs issus de Suisse dominent-ils?
Les ASMV ont leur base clairement en Suisse. Nous avons la chance de disposer, avec la faculté Vetsuisse et ses sites de Zurich et de Berne, de deux institutions de recherche très bien vues à l’échelle internationale. Les ASMV en profitent aussi. La revue est également lue et citée à l’étranger et on veut y publier. Ces dernières années, la part d’articles étrangers, provenant en particulier d’Allemagne et d’Italie, a toutefois nettement progressé, pour atteindre aujourd’hui 30 pour cent des publications.

Le type d’articles a-t-il aussi évolué?
Je constate deux tendances: d’une part les présentations de cas, au détriment des études originales. Nombre de jeunes vétérinaires diplômés souhaitent se spécialiser dans un domaine et devenir membres d’un College. Pour cela, ils doivent pouvoir démontrer quelques publications. Dans ce cas, une présentation de cas est moins laborieuse qu’une étude originale. D’autre part, on publie de plus en plus en anglais. Les articles en anglais font déjà plus de 50 pour cent des publications des ASMV.

Vous-même avez, comme jeune chercheur, publié deux études en romanche dans les ASMV.
Les Romanches étant de toute façon en minorité et les ASMV admettant les quatre langues nationales, l’heure me semblait venue de corriger gentiment cette situation. Hic Rhodus, hic salta!

Les deux grandes tendances «en ligne» et «open access» ont fondamentalement changé la manière de publier et d’acquérir de l’information. Voyez-vous cela comme une chance ou plutôt comme une menace pour les publications scientifiques?
Je suis un grand partisan de l’open access. Les connaissances devraient être accessibles à tous, sans limites géographiques. C’est la tâche d’une politique d’enseignement complète. Les ASMV ont aussi choisi cette voie. Il reste toutefois difficile de prédire comment et où les chercheurs comme les confrères et consœur trouveront leurs informations. Vont-il continuer à s’abonner à une revue? Ou se serviront-ils d’articles en libre-accès dans les banques de données? Comme il est d’ailleurs difficile de dire combien de temps encore les éditions papier survivront.

Et qu’en est-il de votre avenir personnel? Vous entrez maintenant dans la seconde phase de la retraite.
J’ai encore mon cagibi dans l’ancien Strickhof, pour y terminer quelques derniers travaux. Mais je ne vais pas m’ennuyer. Je reste ainsi conseiller au sein de la Fondation pour le bien-être des animaux de Susy Utzinger et m’engage dans le cadre du forum des aînés de ma commune de domicile Bassersdorf. J’y suis responsable des rencontres du vendredi, où j’organise des exposés et des discussions. Mais je vais passer le plus clair de mon temps avec mon petit-fils de 3½ ans Timi, qui me donne aujourd’hui le plus grand plaisir.

Vous verra-t-on aussi sur la piste de ski de fond? Vous auriez déjà pris part 16 fois au marathon de l’Engadine et affichez un record personnel appréciable de deux heures et deux minutes.
Plutôt pas. Le ski nordique exige beaucoup d’entraînement et je n’ai pas pour but de renouveler avec mon chrono d’alors. Toutefois, suivant le principe du plaisir, je serai certainement une fois ou l’autre sur les pistes d’Engadine et de Davos.

Image: Prof. Dr Rico Thun, 74 ans, a été rédacteur scientifique des Archives Suisses de Médecine Vétérinaire (ASMV) de 2000 à 2017. Pour le remercier de son travail de longue haleine mené de manière professionnelle, l’assemblée des délégués de la Société des Vétérinaires Suisses (SVS) du 14 juin 2018 l’a élevé au rang de membre d’honneur.

L’entretien a été mené par Nicolas Gattlen, journaliste indépendant, et Björn Ittensohn, rédacteur du Bulletin SVS.
Texte: Nicolas Gattlen

 
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