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«Combiner différents avis d’experts devient de plus en plus important dans la recherche»
Nadine Stokar, pathologiste, apporte son soutien aux chercheurs dans le domaine de la biomédecine.
Vous vous présentez comme une «comparative pathologist». Qu’est-ce que cela signifie exactement?
Je travaille à l’Institut de pathologie animale de l’université de Berne, pour la plateforme de services Compath. Cette plateforme s›adresse aux chercheurs, du monde universitaire comme de l’industrie, qui requièrent de l’aide dans l’interprétation de leur modèle animal: nous mettons en contact avec le bon interlocuteur ou le laboratoire qui est en mesure de proposer la méthode demandée. Il s›agit d’une interface des instituts de pathologie humaine et de pathologie animale. Nous appelons notre service «Comparative Pathology», Compath en abrégé, car nous comparons différentes espèces, à savoir l’homme et l’animal, du point de vue de la pathologie.
Quelle est exactement votre mission chez Compath?
Nous évaluons si les modèles animaux sont adéquats à représenter des maladies données de l’homme. Cette évaluation doit être complète de manière à permettre aux chercheurs d›estimer la significativité des résultats. Une souris étant végétarienne, elle va présenter une digestion différente de la nôtre. Elle n’est pas sujette à certaines infections alors que l’être humain y est très sensible. C’est de ce genre d’aspects que nous devons tenir compte. En l’occurrence, les chercheurs ont besoin des connaissances spécifiques d’un vétérinaire. Je dois, moi aussi, connaître les pathologies humaines. Nous avons régulièrement des séminaires de formation postgrade communs avec les spécialistes en pathologie humaine durant lesquels nous comparons, par exemple, les caractéristiques histologiques du cancer de la thyroïde chez l’homme et chez l’animal. Nous avons la possibilité, chez Compath, de faire appel à l’expert en pathologie humaine respectif pour les maladies de l’homme, si nécessaire.
Qui a recours aux services de Compath?
Tous les groupes de recherche que nous conseillons mènent des expériences sur des tissus animaux ou humains. Ils ont besoin de notre savoir-faire pour les études, l’interprétation des résultats ou encore la planification de nouveaux projets.
Quels renseignements l’ évaluation des modèles animaux apporte- t-elle aux chercheurs?
Ils en savent plus sur l’apparition de la maladie et sur ce qui se passe dans l’organisme sur le plan cellulaire. Les informations issues de ces recherches précliniques servent de fondement aux essais cliniques chez l’homme, notamment pour l’élaboration de nouvelles méthodes thérapeutiques ou associations médicamenteuses.
Quelles sont les principales maladies desquelles on peut concevoir un modèle animal?
De nombreuses maladies de l’homme mais aussi de l’animal: cancers, maladies métaboliques, psychiatriques ou infectieuses mais aussi fonctions neurologiques et comportementales. On peut également créer des modèles de zoonoses, les animaux jouant alors leur propre rôle dans le cycle d’une infection.
Pourquoi une telle plateforme s’est-elle révélée nécessaire?
Combiner différents avis d’experts devient de plus en plus important dans la recherche. Le fait de soumettre un projet scientifique à une personne ayant un autre background interdisciplinaire améliore la qualité des recherches. L’évaluation des modèles animaux par des experts permet de réduire les essais sur les animaux conformément au principe des «3 R».
Vous travaillez également à l’EPF de Lausanne, partenaire de Compath. Quelle fonction y exercez-vous?
A Lausanne, je travaille trois jours par semaine comme pathologiste pour animaux de laboratoire, et ce pour tous les groupes de recherche sur place. Je combine la morphologie, qui consiste à localiser la maladie dans les organes, et des méthodes de biologie moléculaire servant à mettre en évidence des protéines ou de l’ADN. On me demande souvent d’intervenir de manière impromptue, par exemple lorsque des animaux tombent malades au beau milieu d’un essai. J’évalue alors si la maladie est due à l’expérimentation ou si sa déclaration est propre à l’animal. Je forme les chercheurs à la gestion de ce genre de situations. Je conseille en outre des doctorants et des chercheurs en postdoc dans la planification de leurs projets.
Ne travaillez-vous donc pas comme chercheuse à proprement parler?
Dans les projets de Compath, nous apportons un éclairage scientifique et figurons donc comme coauteurs dans des publications; ce n’est toutefois pas nous qui coordonnons les projets dans leur ensemble. Nous ne pratiquons pas non plus nous-mêmes d›essais sur les animaux. Nous sommes des conseillers pour les questions qui relèvent de la pathologie et aussi des spécialistes des analyses tissulaires.
Comment gérez-vous le fait de travailler sur des animaux morts en tant que pathologiste?
Je considère la pathologie comme un élément central de la médecine vétérinaire, qui s’occupe des animaux vivants. Dans le cadre du diagnostic biopsique, nous analysons des fragments tissulaires d’animaux vivants dans le but de pouvoir instaurer un traitement adapté. L’étude de quelques animaux qui ont succombé nous permet d’identifier des maladies et de sauver leurs congénères. La recherche fondamentale contribue aussi de manière notable au perfectionnement de traitements, pour l’animal ou pour l’homme, ou encore au développement de nouvelles thérapies. Dans bien des cas, les résultats, même s’ils paraissent négatifs à première vue, conduisent à des avancées.
Qu’est-ce qui vous fascine dans la pathologie?
Je voulais initialement devenir vétérinaire pour grands animaux, mais cela me laissait sur ma faim de ne voir les bêtes que de l’extérieur sans savoir au juste ce qui se passe dans leur organisme lorsqu’elles sont malades. Ce qui est fascinant dans la pathologie, c’est qu’on va au fond des choses. C’est parfois un peu comme du travail de détective, et très peu répétitif. J’apprends de nouvelles choses tous les jours; cela fait de la pathologie un domaine professionnel attractif.
Portrait
Nadine Stokar-Regenscheit, 31 ans, a étudié la médecine vétérinaire à Zurich. Elle a rédigé sa thèse de doctorat à l’Institut de pathologie vétérinaire de Zurich avant de rejoindre l’université de Berne et d’accéder à un programme de résidence pour se spécialiser en anatomie pathologique vétérinaire. En 2015, elle a passé avec succès les examens pour l’obtention du titre de vétérinaire spécialisé FVH en pathologie vétérinaire et du titre de spécialiste européen de l’ECVP. Elle est aujourd’hui employée comme maître assistante à l’Institut de pathologie animale de l’université de Berne.
L’Association Suisse de Pathologie Animale a 30 ans
L’Association Suisse de Pathologie Animale (ASPA) va fêter ses 30 ans en 2018. A cette occasion, les Archives Suisses de Médecine Vétérinaire (ASMV) ont décidé de montrer l’éventail de débouchés professionnels en pathologie animale. Des pathologistes de divers domaines parlent ainsi de leur métier dans une série d’entretiens indépendants, dont l’interview de Nadine Stokar marque le début. Les ASMV publieront en outre une édition spéciale au milieu de l’année.
Les 15 et 16 juin 2018 se tiendra la manifestation anniversaire de l’ASPA sur le thème de la pathologie au fil du temps. Ne manquez pas de noter ce rendez-vous.
Interview: Annik Steiner, responsable médias et communication au secrétariat de la SVS.